Le quatrième cavalier
et
leur jurer allégeance.
— Et devenir esclaves ? rétorqua-t-il.
— Nous serons des guerriers.
— Au service d’un Dane ? Ils ne peuvent avoir pris
tout le Wessex.
— Pourquoi ?
— C’est trop grand. Il doit y avoir encore des
combattants. Il suffit de les trouver.
Je repensai aux longues discussions à Lundene. À l’époque, j’étais
un enfant parmi les Danes, et leurs chefs disaient que la meilleure manière de
prendre le Wessex était d’attaquer l’ouest. D’autres affirmaient qu’il fallait
d’abord prendre le vieux royaume de Kent, point faible du Wessex, où se
trouvait le vieil autel de Contwaraburg, mais les premiers avaient prévalu. Les
Danes avaient attaqué à l’ouest, le premier assaut avait échoué, mais à présent
Guthrum était victorieux. Jusqu’à quel point ? Le Kent était-il encore
saxon ? Et le Defnascir ?
— Et qu’adviendra-t-il de Mildrith si nous rejoignons
les Danes ? demanda Leofric.
— Elle se sera cachée, dis-je sans conviction.
Je vis qu’Eanflæd était vexée et j’espérai qu’elle tiendrait
sa langue.
— T’en soucies-tu ? demanda-t-elle cependant.
— Oui.
— Elle est devenue ennuyeuse, n’est-ce pas ?
— Évidemment qu’il s’en soucie, intervint Leofric.
— C’est une épouse, rétorqua Eanflæd sans me quitter
des yeux. Les hommes se lassent des épouses, continua-t-elle tandis qu’Iseult
nous observait, n’en perdant pas une miette.
— Que sais-tu des épouses ? demandai-je.
— J’ai été mariée.
— Vraiment ? s’étonna Leofric.
— Durant trois ans, à un homme de la garde de Wulfhere.
Il m’a donné deux enfants, puis il est mort dans la bataille où le roi Æthelred
fut tué.
— Deux enfants ? répéta Iseult.
— Ils sont morts, grommela Eanflæd. Voilà ce qui arrive
aux enfants. Ils meurent.
— Tu étais heureuse avec ton mari ? demanda
Leofric.
— Pendant trois jours. Les trois années qui ont suivi, j’ai
appris que les hommes ne sont que bâtards.
— Tous ? demanda Leofric.
— Presque, sourit-elle. Mais pas toi, ajouta-t-elle en
lui touchant le genou.
— Et moi ? demandai-je.
— Toi ? Je ne te ferais pas confiance un instant, dit-elle
d’un ton venimeux qui me surprit. (Il arrive un moment dans la vie où nous nous
voyons comme les autres nous voient. Sans doute est-ce ainsi que va la vie, mais
ce n’est pas toujours agréable. Eanflæd regretta sa dureté et tenta de se
rattraper.) Je ne te connais pas, dit-elle, hormis que tu es l’ami de Leofric.
— Uhtred est généreux, dit Iseult.
— Les hommes le sont toujours quand ils veulent quelque
chose, répliqua Eanflæd.
— Je veux Bebbanburg.
— Et pour l’avoir tu serais prêt à tout. Tout.
Nous nous tûmes. Un flocon de neige entra et vint fondre
dans les flammes.
— Alfred est un homme de bien, dit Leofric pour rompre
ce silence pénible.
— Il essaie d’être bon, dit Eanflæd.
— Il essaie, c’est tout ? ironisai-je.
— Il est comme toi, il tuerait pour avoir ce qu’il veut,
mais il y a une différence : il a une conscience.
— Il craint les prêtres, plutôt.
— Il craint Dieu. Et nous devrions tous. Car un jour, nous
aurons à répondre devant lui.
— Pas moi, dis-je.
Eanflæd ricana, mais Leofric changea de conversation. Nous
finîmes par nous endormir. Iseult se blottit contre moi dans son sommeil, tressaillant,
tandis que je veillais en rêvassant à la horde resplendissante dont elle avait
parlé. Sa prophétie me semblait bien improbable, et je me disais qu’elle avait
dû perdre ses pouvoirs avec son pucelage, puis je m’endormis à mon tour. Lorsque
nous nous réveillâmes, le monde était blanc et plongé dans la brume. Je trouvai
en sortant un moineau mort sur le seuil, cela me parut un mauvais présage.
Leofric sortit à son tour, clignant des yeux dans cette
clarté.
— Ne prends point garde à Eanflæd, dit-il.
— Je ne m’en soucie point.
— Son monde a été anéanti.
— Alors nous devrons le rebâtir.
— Faut-il pour cela rejoindre les Danes ?
— Je suis un Saxon.
Il sourit, baissa ses braies et pissa.
— Si ton ami Ragnar est en vie, demanda-t-il, seras-tu
toujours un Saxon ?
— Il est mort, n’est-ce pas ? me désolai-je. Sacrifié
à l’ambition de Guthrum.
— Donc tu es un Saxon, maintenant ?
— Je suis un Saxon, répétai-je d’un ton plus convaincu
que je ne l’étais, car
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