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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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profitèrent de la conversation avec leur père qui se montra enthousiaste de leurs progrès en tous les domaines d’enseignement. Il se laissa même aller à tester les réflexes guerriers de ses garçons et fut surpris de constater que son fils Geoffroy se montrait presque aussi vif et dégourdi que Richard, malgré leur dissemblance physique.
    — Et vous n’avez point tout vu, père. Je connais sur le pouce le nom de chacune des grandes villes de l’empire Plantagenêt. Voulez-vous les entendre ?
    Henri eut le malheur d’accepter. Cinq minutes plus tard, Geoffroy attaquait l’énumération des ports sans se tromper.
    — Une fameuse mémoire, mon fils. Par Dieu ! oui, une fameuse mémoire, l’interrompit-il avant de lui donner congé.
    Ce fut le signal pour les autres qui, recevant même dérogation à paraître, s’éclipsèrent vitement sous la surveillance d’Eloïn. Une portée de jeunes chiots avait jappé dans le chenil à notre arrivée.
    — Nul doute qu’ils vont s’y précipiter, nota l’emperesse Mathilde, revenue dans ce fauteuil, usé du nombre de ses assises ces deux dernières années.
    Elle passa une main lasse devant ses yeux, voilés d’une blancheur qui trahissait le léger brouillard dans lequel nos visages se perdaient.
    — Quoi qu’il en soit, mes enfants, leurs amuseries ne sont plus les vôtres, et c’est bien tristement que je me vois contrainte d’arbitrer vos nouvelles règles de jeu. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, Henri. Un jouet. Fort joli, je vous l’accorde, mais un jouet tout de même.
    Pour autant de fois qu’il avait baissé le nez devant l’autorité de sa mère, cette fois Henri garda le front droit.
    — Je conçois qu’il vous plaise de l’entendre ainsi mère, mais je crains que le terme ne soit peu accordé aux sentiments qui me tiennent.
    Piquée au vif, l’emperesse prit appui sur la pomme des accoudoirs pour se soulever à demi.
    — Je ne parle pas des vôtres, mon fils. Mais de ceux de cette catin que vous osez prétendre digne d’un royaume que je vous ai construit à feu et à sang !
    — Elle ne joue pas, je vous le répète !
    Aliénor, demeurée jusque-là d’un calme qui avait forcé mon admiration, leva deux mains en signe d’apaisement.
    — Paix, dame Mathilde. Paix. Et vous aussi, Henri. Je ne suis point venue pour débattre de vos pitoyables coups de boutoir. A dire vrai, ils m’indiffèrent.
    L’emperesse sembla sur le point de suffoquer et se rassit brutalement. Henri, surpris de sa vulgarité, ne trouva rien d’autre que d’en rajouter :
    — Ce n’est point ce que vous disiez hier…
    Aliénor lui retourna un rictus méprisant.
    — Et c’est ce qu’elle dira demain, lorsque, revenue de sa rêverie, elle prendra conscience de ce dont je me contentais.
    Ce fut à moi d’éclater d’un rire sec, comme on brise un objet. Davantage pour permettre à ma marraine de retrouver un souffle que cette joute indécente avait coupé que pour alléger l’atmosphère. Le regard que dardaient les époux royaux l’un sur l’autre était autant de flèches assassines.
    — Fi ! Vos Majestés. Laissez aux charretiers cet ordurier verbiage et venons-en au fait. Si vous le permettez, dame Mathilde…
    Elle ne me l’accorda que d’un geste, occupée, pour retrouver force, à se tamponner le nez avec un carré parfumé. Je me tournai vers mon roi, genoux croisés, peu amène à l’égard de mon intervention. Il y avait bien longtemps que son courroux m’indifférait. Pourtant, ma voix se fit douloureuse sans que je l’eusse cherché. Simple conséquence, sans doute, d’une vérité refoulée. Ce m’était un crève-cœur de les voir s’entre-déchirer.
    — Les faits sont établis et furent jugés par votre épouse en leur temps. Il est inutile d’y revenir. S’il eût été seyant que vous affichiez plus de réserve, le mal est fait, Henri. Pour Aliénor, mais aussi pour le royaume. Le Poitou gronde, ragaillardi de vindicte contre votre autorité. Et, au lieu d’apaiser l’Aquitaine souffreteuse jusqu’en ses frontières toulousaines, au lieu de livrer ce combat tant et tant espéré, vous offrez protection à leur ennemi juré. Que cherchez-vous, enfin ? A soulever les territoires de la reine contre vous ? ou contre elle ? Car, s’il vous en souvient, vous formez un bloc, indissoluble au regard de Dieu et des hommes. Gifler l’un, c’est rougir l’autre. Avez-vous donc oublié tout ce que

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