Le règne des lions
je vous ai enseigné ?
Je le vis se ratatiner sur son siège. Imperceptiblement, certes, car il avait de la ressource, mais assez pour qu’Aliénor prenne le relais.
— Que vous ayez cessé de m’aimer, Henri, je le conçois. A mon cœur défendant, certes, mais notre différence d’âge me fait admettre ce que j’ai longtemps voulu rejeter. Vous êtes dans la force de l’âge et elle incarne cette beauté que le mien a fanée.
Elle se leva, vint s’accroupir devant lui.
— Mais l’Aquitaine, Henri ! Tant convoitée par tous et vous le premier. Comment avez-vous pu la trahir, elle qui ne cesse de s’enjoliver, de porter atour de lumière et de vie ? C’est dans vos pas qu’elle s’est mise à danser. Dans vos rires qu’elle s’est éclairée. Je ne veux pas croire que vous ayez cessé de l’aimer.
Il déglutit, troublé par son regard fervent.
— Ce n’est pas le cas, ma mie, vous le savez.
— Alors quoi ? Qu’attend-elle de vous, cette Rosamund ? De vous voir détruire tout ce qui me fait exister à votre côté ? Qu’en soutenant Toulouse, c’est l’Aquitaine que vous répudierez ?
Il ne répondit pas. Ses doigts tremblaient. Aliénor les couvrit des siens.
— Aimez-la, bélinez-la, affichez-la, j’en ai pris mon parti. Mais, de grâce, reprenez-vous. Ne la laissez pas briser, pour de mauvaises raisons, cette unité que je conserve pour de bonnes. Nos enfants, Henri.
Il resserra ses mains autour de celles de son épouse. L’emperesse nous adressa un signe de tête. Déjà Jaufré et moi, nous levant discrètement, l’avions anticipé. A l’instant où nous franchîmes la porte, la joue d’Aliénor venait de se coucher sur le genou d’Henri, et ses doigts à lui d’en suivre délicatement le tracé.
Réconciliation ? Mes doutes trouvèrent leur réponse dans le regard de biais que m’adressa Aliénor sous cette caresse. Toute la duplicité du monde s’y retrouvait. Mêlée à de la jubilation.
Partie gagnée.
42
H enri s’arracha le souffle à décapiter à la volée cette tête ennemie qui le narguait sous le heaume. Elle s’envola dans une traînée de sang au-dessus du champ de bataille boueux dans lequel il pataugeait. Comme si cela ne pouvait suffire, il attendit que le corps s’écroule pour le planter en plein thorax d’une saignée supplémentaire. Ensuite, seulement, il jeta un œil alentour. Le combat était à son avantage dans cette lande, mais, comme lui, ses hommes fatiguaient. Une main s’agrippa à sa cheville, lui faisant baisser les yeux. « Chiens de Bretons », gronda-t-il en voyant un de ceux qu’il avait déjà rendus à la terre retrouver assez de vie pour le crocher. Sans hésitation, il l’acheva d’une estocade à la gorge, éclaboussant un peu plus ses braies. Il s’arracha à l’étreinte macabre d’un mouvement agacé de la jambe, renfonça sa botte jusqu’au mollet dans la tourbe et chercha un autre adversaire. Douze jours, douze jours qu’il s’appliquait à plier à son autorité le comté de Léon. Les vassaux de Louis, envoyés par le roi de France pour se venger de son alliance avec Toulouse, avaient été plus faciles à plier ! Mais ceux-là… Ceux-là étaient comme les Aquitains. On en soumettait un qu’un deuxième sortait l’épée. Il n’en finissait pas d’arracher des hommes à ces familles, regroupées en clan comme en Écosse. Pour autant, il les materait.
Il les materait comme il avait toujours maté les rebelles, les inféodés, les chiens. Enragé de sang à verser, il se précipita aussi vitement qu’il put au secours du comte Patrick de Salisbury, fine lame de ses familiers. Deux Bretons le ferraillaient avec la même intention de le découdre. Fort de sa tactique, Henri leva son épée, ajusta son bouclier à sa main et se jeta de l’avant en hurlant. L’un des deux, aussitôt, se détourna de Salisbury pour se mesurer à lui. Les deux lames se choquèrent dans un tintement assourdi par l’épaisseur du sang et de la boue. Henri était plus grand, plus lourd, plus féroce, mais, empêtré dans cette fange qui retenait ou déroutait ses pas, il se sentait bien moins agile que son adversaire. Il décida de charger pour le faire choir de cul. Par un chassé imprévisible, le Breton s’esquiva de quelques pouces et Henri, le frôlant à peine, ne réussit qu’à plonger lui-même de l’avant. L’épée de son adversaire lui émailla le haubert à hauteur de taille. Il se
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