Le règne des lions
duché de Bretagne, mata les Bretons. Aliénor ne l’avait pas revu. Elle savait que Rosamund non plus. La guerre laissait peu de place à l’amour. Et Henri avait entendu le plaidoyer de sa femme. L’empire Plantagenêt ne pourrait continuer d’exister que par leur descendance. Une descendance bien trop jeune encore pour se tailler la part du lion. C’était à lui de la leur préparer. Il l’avait fait. En cela, elle avait retrouvé un semblant de respect à son égard, assez pour se montrer à son côté dans l’affaire de Toulouse et taire la colère des siens. Assez pour, ce jourd’hui, l’accompagner dans sa peine. Assez pour accepter son bras et, digne, infiniment digne sous le regard de tous, suivre le convoi funèbre. Assez oui, pour comprendre que, l’emperesse défunte, c’était à elle désormais qu’il incombait de jouer la mère. Le garde-fou. L’autorité.
Lorsqu’ils se retrouvèrent tous deux devant le monument funéraire refermé, Henri tourna vers elle un visage ravagé de chagrin. Il baissa les yeux et murmura ces mots qu’Aliénor attendait depuis leur dernière rencontre :
— J’ai besoin de vous, ma reine. L’Angleterre a besoin de vous.
Elle posa la main sur son avant-bras et répondit sans animosité aucune :
— Accordez-vous aux dernières volontés de votre mère, Henri. Distribuez ses biens, tous ses biens propres, aux églises et aux gueux et veillez à ce qu’ils ne regagnent nos coffres sous aucun prétexte ni imposition. Prenez le temps qu’il vous faudra. Je tiendrai ma place.
Elle releva le menton, et moi seule, occupée à consoler mon fils niché dans mes bras, devinai sa véritable intention. Elle n’était que vengeance et celle-ci n’avait qu’un nom : Rosamund.
43
R osamund Clifford s’était accommodée de sa position de maîtresse royale. Henri ne lui avait pas laissé d’autre choix. Bien qu’elle n’en connaisse pas la véritable raison, elle se doutait bien qu’Aliénor tenait son époux par quelque secret inavouable dont l’origine avait pris naissance en même temps que leur dernier fils. Henri ne répudierait pas la reine. Même si, pour lui donner à croire le contraire, il avait soutenu le comte de Toulouse dans ses amours interdites. Parfois, à la faveur d’un moment de dépit et de solitude, Rosamund ressortait le poison de son coffret, en caressait amoureusement le flacon avant de le remettre en place. Si la reine mourait d’un excès d’ellébore, tous les soupçons désormais la désigneraient coupable. Elle risquait davantage d’y perdre que d’y gagner. Mais l’idée avait creusé son nid et, malgré tout l’amour dont elle couvrait Henri, malgré toute l’abnégation dont elle paraissait faire preuve et le bonheur qu’elle affichait, aucun de ses rêves ne s’achevait sans cette couronne au-dessus de son front et son roi à son côté.
La rumeur du retour d’Aliénor pour remplacer son époux en Angleterre lui parvint au jour même du message d’Henri qui s’en désolait.
« À l’heure où, en nos frontières, la révolte gronde, il m’est nécessaire, pour le bien du royaume, de montrer à tous un semblant d’unité. Priez, mon aimée, comme je prie chaque jour pour que, les affaires de succession de ma mère réglées, nos retrouvailles soient plus ardentes encore, nos baisers plus enflammés. Mais, je vous le demande, offrez à notre amour cet écrin de discrétion qui met si joliment en lumière la beauté de votre âme. Ne froissez pas la reine par votre présence. Accordez-vous à l’Angleterre comme je m’accorde en vos rets. Soyez digne d’un trône à défaut d’y siéger. Votre Henri, de fidélité et de maistre. A toujours et à jamais. »
Loin d’apaiser sa rancœur, Rosamund froissa le parchemin et le jeta aux flammes. Installée avec la cour au château de Woodstock, dans les appartements d’Henri, elle n’avait pas l’intention de déménager.
Aliénor n’en attendait pas moins de la traîtresse. À peine étions-nous descendues du navire dans le port de Southampton qu’une bourrasque glaciale lui arracha son chapel d’hermine pour le perdre à la mer. Sur la terre anglaise, le froid s’était déjà installé. Tandis qu’un valet se précipitait pour tenter de le repêcher, elle se tourna vers moi, dans le vacarme des malles que l’on déchargeait, du vent qui sifflait, des oiseaux de mer criards et du frottement des drisses dans la mâture des
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