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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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d’hermine, la poser délicatement en travers des accoudoirs du trône d’Henri, puis dénouer ses cheveux attachés. Ils tombèrent en cascade soyeuse jusqu’à ses reins, offrant un écrin à son teint avivé par la pluie, à ses yeux à peine fardés mais brûlant d’intensité. J’y posai avec délicatesse la couronne d’Angleterre qu’Aliénor m’avait confiée. Alors, seulement, elle pivota avec légèreté sur elle-même et invita les Anglais, toujours en révérence, à se redresser. Ils en demeurèrent bouche bée tandis qu’elle les toisait avec assurance. Pour la circonstance, Aliénor avait rompu au travail une dizaine de couturières, mais le résultat était là. Un bliaud long à la traîne somptueuse qu’elle avait dû relever et jeter au travers de la selle pour chevaucher. Un bliaud cintré à la taille, et soulignant d’autant plus la finesse de ses hanches qu’une ceinture à cabochons de diamants noirs y reposait. Un bliaud au décolleté profond qui rehaussait sa poitrine généreuse et dans laquelle un cœur de rubis se perdait. Un bliaud aux manches ballonnées jusqu’au coude puis largement évasées telle une fleur de lys, du poignet qui laissait entrevoir un chainse de dentelle, jusqu’aux pieds en un plissé parfait. Un bliaud, enfin, à la soie écarlate et rebrodé de minuscules léopards d’or, semblable à la bannière des Plantagenêts et affirmant clairement le respect qu’on lui devait.
    Ce ne furent pourtant pas dans les regards subjugués qu’elle retint son triomphe, tandis qu’elle invitait ses enfants à entrer, mais dans celui, ahuri, incrédule et furieux de Rosamund Clifford, qu’elle venait d’éclipser.

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    L e castel de Woodstock était situé à l’écart de tout et au plus profond d’une forêt majestueuse. « Un havre de paix », s’était émerveillée Aliénor à sa première rencontre avec l’endroit. « Un exceptionnel lieu de chasse », avait surenchéri Henri. L’idée du castel était née de cet échange-là. Certes, que Rosamund désormais en capture les richesses agaçait Aliénor. Mais c’était le moindre de ses affronts. La prendre de front et dresser la cour en deux camps distincts n’amènerait qu’à empuantir son atmosphère. Feindre d’ignorer la vérité, et Aliénor passerait pour une sotte. Elle était plus fine que cela. Comme autrefois avec Béatrice de Campan, il fallait ruser. Rosamund ne lui échapperait pas.
    De fait, dès le premier instant, sa rivale se comprit prise au piège. Elle qui était restée pour jubiler de la décrépitude de la reine se trouvait face à une femme, mature certes, mais d’une telle splendeur retrouvée que cela en paraissait anormal. Aliénor s’en expliqua avec joie à ces sujets qui l’en félicitèrent. Aucun sortilège ni association maléfique. Elle avait recommencé à guerroyer. Ses enfants, superbement grandis et devant lesquels tour à tour, Rosamund comprise, tous s’inclinèrent avec déférence, pouvaient témoigner d’une reprise en main totale de la reine face à son apparence et à ses devoirs. Mais rien ne fut plus jubilatoire pour Aliénor que de voir sa rivale glisser discrètement vers la sortie et, du haut de son trône, de l’en empêcher.
    — Rosamund Clifford !
    L’interpellée s’immobilisa dans un sursaut. Dignement, pourtant, elle se retourna, son sempiternel sourire aux lèvres, comme cousu à ses fossettes. Evidemment, ainsi que l’avait escompté Aliénor, son intervention fit reculer chacun, inquiet d’en subir les retombées. En quelques secondes, Rosamund se trouva isolée en plein centre de la salle du trône et contrainte à une révérence devant tous. La laissant s’y abîmer les cuisses de crispation, Aliénor descendit lentement les marches pour aller jusqu’à elle. Le silence s’était fait, chacun et chacune de la noblesse anglaise attendant le couperet. Aliénor se planta devant elle et la saisit aux épaules.
    — Comment donc, très chère ? Alliez-vous partir sans m’embrasser ?
    Aliénor la sentit tressaillir sous sa poigne appuyée tandis que d’autorité elle la relevait. Elles s’affrontèrent une seconde du regard, dans le souffle suspendu de la noblesse. Pour seule arme, Aliénor lui rendit son sourire.
    — Vous voilà bien pâlotte, ma jeune amie. Auriez-vous quelque raison de me craindre ?
    Rosamund, privée de repartie par sa position d’infériorité, ne trouva pas même à s’en défendre.

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