Le règne des lions
Elle la sentit frémir sous la caresse. Elle ne s’était pas trompée. La dame bouillait d’un feu ardent. Sa voix se fit rauque, sensuelle, son œil brûlant.
— Plus que cela.
Gênée par l’impertinence du sous-entendu, Rosamund détourna la tête. Aliénor ne s’en émut pas. Son index replié glissa jusqu’au creux de la nuque, entre l’oreille et l’épaule, suivit lentement la ligne du chainse de nuit, s’assurant des battements irréguliers à la carotide. Elle connaissait assez les caresses rustaudes de son époux pour savoir combien les siennes, d’une infinie douceur, pouvaient trouver écho dans cette chair délaissée. De fait, apprivoisée déjà, bien que réfugiée dans un prude baissement de tête, Rosamund ne disait mot. Aliénor s’avança jusqu’à l’arrondi parfait d’un sein qui affleurait sous les festons de son chainse, puis retira sa main et se leva.
— Les documents seront rédigés demain à la première heure. En les signant, vous m’appartiendrez comme vous appartenez à Henri. Car le prix de ma générosité passe aussi par votre trahison, Rosamund, même si Henri ne la découvre jamais. Je vous veux, lascive et abandonnée en ma couche comme en la sienne. Jouissant de moi comme vous jouissez de lui. Je veux qu’il soit trompé de vous avec moi comme j’ai été trompée de lui avec vous.
Rosamund releva enfin les yeux vers elle. Reprise de pâleur autant que de trouble, elle murmura :
— La vengeance suprême, n’est-ce pas ?
Aliénor sourit.
— Elle ne sera complète que le jour où vous m’aimerez autant que vous l’aimez.
Rosamund secoua la tête.
— N’y comptez pas.
— Ne me sous-estimez pas. Ne vous sous-estimez pas, Rosamund Clifford…
Elle pâlit plus encore. Aliénor ajouta, la voix frappée de certitude :
— Que la nuit vous soit douce… La mienne l’est déjà.
M’entraînant, témoin discret, derrière elle, Aliénor gagna la porte après m’avoir repris la lampe à huile des doigts. Rosamund garda le silence. Un silence dont nous savions toutes trois qu’il était un accord tacite. Autant contraint par un désir défendu que par celui de pouvoir absolu.
Lorsque, le corridor traversé, je laissai Aliénor aux portes de sa chambre, préférant garder entre nous et sa sensualité réveillée la distance de mon serment à Jaufré, je n’eus qu’une question pour taire un dernier doute :
— Tu n’as pas réellement l’intention de la laisser prendre ta place sur le trône n’est-ce pas ?
Elle eut ce petit rire de victoire propre à chacune de ses guerres.
— Bien sûr que non, Loanna de Grimwald. Ton sang coulant désormais en mes veines, je n’ai aucune inquiétude. Elle mourra bien avant moi.
45
L ’aiguille piquée dans la chair d’Henri ne lui arracha qu’une grimace. L’esprit encore dans les nouvelles qu’il venait de recevoir d’Angleterre, il laissa un œil soucieux suivre le mouvement du fil entre les pans déchiquetés de sa plaie. Une belle entaille un peu avant la saignée du coude qu’il avait récoltée d’une collée traître, non plus en Bretagne, où enfin la révolte était matée, mais en Poitou, à quelques lieues de Lusignan. Pour l’heure, rompu à ces bigourelles de guerre qui, de-ci de-là, marbraient ses membres de cicatrices et dont la douleur le laissait froid, il avait un autre sujet de tourment. Malgré le ton du courrier de Salisbury.
« Soyez rassuré mon roi. Contre toute attente et après un échange assez vert, vos dames ce jourd’hui s’entendent à merveille. L’une ne va plus sans l’autre. Elles se confortent d’amitié et de tendresse que leurs regards, sans équivoque, relaient. La reine non seulement semble avoir pris le parti de sa disgrâce, mais encore s’est déclarée heureuse qu’une autre d’aussi aimable qualité que Rosamund Clifford lui succède en une couche que son grand âge ne lui permet plus d’honorer. L’atmosphère de la cour, tendue à notre arrivée, se retrouve désormais dans le rire franc de vos dames, et je puis affirmer sans me tromper qu’elles se confortent de vos courriers, les partagent avec la même gourmandise et offrent par leur complicité le plus joli des paysages à regarder. »
Si Salisbury avait voulu le réconforter, il se trompait. Henri connaissait trop bien ses « dames », comme son ami les appelait, pour se laisser prendre à ce florilège. Il cachait quelque manœuvre, de l’une ou de
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