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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Aliénor éclata de rire.
    — Suisse stupide ! Mais oui, bien sûr, vous me craignez…
    Elle lui pinça la joue comme à leur dernière rencontre mais, cette fois, à y imprimer la marque de son ongle et lui arracher une larme réflexe. Puis elle tapota cette pommette écarlate.
    — Vous avez tort, Rosamund. Car, finalement, que sommes-nous vous et moi sinon un tout pour le roi ?
    C’était dit. On échangea des regards embarrassés dans l’assistance. Aliénor enroula son bras autour des épaules de sa rivale, mortifiée de cette condescendance. Ce n’était que le commencement d’une leçon d’humilité. Aliénor la ramena vers le trône, et, comme si elles avaient été seules en cette place, ajouta d’un air détaché :
    — Evidemment, vous êtes le cul et moi la tête !
    On gloussa. Rosamund se cabra sous l’étreinte. Aliénor la resserra plus encore, empêchant la belle de s’en arracher. Elle n’avait pas terminé. Elle la ramena en haut des marches et, de sa main libre, enleva de son trône le coussin qui en adoucissait l’assise. Elle le laissa choir à terre puis le désigna à sa rivale.
    — Je ne saurais admettre que vous soyez privée de ce qui vous revient, ma chère. Vous l’allez voir, la place est confortable et vos attributs royaux y seront préservés.
    Elle retira son étau, planta cette fois un regard sans équivoque dans celui de l’impertinente, puis ordonna, aussi simplement qu’un coup de poignard bien ajusté :
    — Asseyez-vous ! Au nom du roi, où je suis désormais, vous serez.
    A moins de se voir sévèrement punie pour un crime de lèse-majesté, Rosamund Clifford n’eut d’autre choix que s’exécuter.
     
    Au soir venu, elle avait tout subi. Des œillades moqueuses des courtisans qui l’avaient enviée à celles détournées par la pitié qu’elle inspirait. Réduite à l’état de chienne du royaume, elle en subit les fers sans un mot, sans même se départir de son sourire, donnant enfin à deviner qu’il pouvait être un leurre. Elle qui, depuis une année, tenait ces gens sous son joug, comprenait qu’elle n’aurait plus jamais sur eux le même pouvoir. Loin d’en être brisée, elle se drapa d’importance pour mieux masquer l’idée de sa vengeance.
    Ce fut un fait entendu lorsque Aliénor lui accorda enfin le droit d’aller se coucher… dans le lit, désert, du roi.
    Rosamund Clifford n’y trouverait plus le sommeil tant qu’Aliénor vivrait.
     
    — Elle va essayer de te perdre. Par la lame ou le poison. C’est inévitable, Aliénor.
    Je l’avais rejointe en sa chambre, sur sa demande, sitôt le couvre-feu. En chemise et mantel de nuit, les cheveux brossés, parfumés puis savamment liés en une tresse qui reposait sur sa poitrine, ma reine était assise à même un tabouret rembourré de velours grège, ses pieds nus enfoncés dans les mèches d’un épais tapis. Les deux mains tendues vers la cheminée, les yeux perdus dans les flammes, elle haussa les épaules.
    — Tenir ses ennemis dans son cercle est le meilleur moyen de s’en protéger. N’est-ce point un de tes enseignements, ma douce ?
    — Si fait. Mais tu n’en es pas moins en danger.
    — Elle n’est pas aussi rusée que moi. Il existe un moyen de tuer sa rancœur et tout autant de me donner compensation.
    Je me glissai derrière elle, massai ses épaules. La tension de ce petit jeu l’avait épuisée. Elle gémit de soulagement en laissant tomber les bras le long du corps et la nuque vers l’avant. J’affinai mes pressions en longs mouvements de la base du crâne aux trapèzes. Elle se relâcha.
    — Toi seule me connais, Loanna.
    — Assez, en effet, pour deviner tes intentions. Je ne suis pourtant pas certaine d’avoir envie de m’en faire complice.
    Elle redressa la tête, caressa sa joue à mon bras avant d’y poser un baiser léger.
    — Un reste de jalousie ?
    — De prudence.
    Aliénor sourit.
    — Je ne crains rien si tu es avec moi.
    — Que fais-tu de la colère d’Henri ?
    Elle pivota vers moi, des étoiles dans les yeux rehaussées par l’éclat des flammes.
    — Elle n’en dira rien.
    — Et pourquoi non ?
    — Parce qu’elle aimera ça.
    Je m’accroupis devant elle, soulignai de l’index la ligne d’un cerne.
    — Et toi, ma reine ?
    Elle se mit à rire, d’un rire léger qui me rappela les belles heures d’autrefois.
    — Henri me doit bien cela, non ?
    Pour toute réponse, je me redressai et lui tendis la main.

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