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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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l’autre. Ou des deux ensemble, dont il ferait, lui, les frais.
    Une dernière fois, l’aiguille courbe du barbier transperça un côté de la peau, puis l’autre. L’homme, râblé, au regard fuyant et au teint grêlé, aussi laid qu’efficace, coula un nœud bien serré puis, sans s’attarder sur la régularité des points, dix au total, cisailla le fil inutile. Ensuite de quoi, indifférent aux pensées contradictoires qui ombrageaient l’humeur d’Henri, il lui adressa un soupir qui en disait long sur la manière dont il jugeait la pratique de son roi.
    — Douze jours, Votre Majesté. Pas un de moins, cette fois, ou je ne garantis pas la cicatrisation.
    Henri hocha le menton, par habitude. Il n’en ferait qu’à sa tête et ôterait lui-même les ligatures lorsqu’il en aurait assez qu’elles le grattent, le piquent, l’agacent. Le barbier connaissait bien son procédé. Il poussa un nouveau soupir, pointa son index sur une précédente cicatrice, boursouflée d’avoir été délivrée trop tôt. Henri en gardait une gêne au poignet.
    — A quoi cela sert-il que je m’applique si Votre Majesté saccage mon travail ? Un jour verra la pourriture s’infiltrer dans cette porte ouverte et ce ne sera plus les fils qu’il me faudra couper.
    — Merci, Beauford ! voulut le congédier Henri.
    Le barbier refusa d’entendre. Il venait de saisir des bandes propres. Henri se laissa panser. Il n’avait pas le choix. Assis sur ce tabouret de campagne, sous sa tente, dans le froid humide de novembre, il ferma les yeux sur des images. Woodstock. Le rire de Rosamund. Les fossettes à ses joues, rappel vibrant de celles qui ponctuaient le haut de ses fesses. Ah ! ces fesses ! Charnues, fermes. Le bout de ses doigts s’agita de l’envie de les saisir, de les presser, de les amener à son entrejambe. Il en crispa les mâchoires de désir frustré, même s’il se trouvait toujours, pour le soulager, quelque catin dans une bourgade, quelque servante enfiévrée. S’y superposa le corps ragaillardi de son épouse, lui pointant un peu plus le vit dans ses braies. Etonnant comme le plaisir d’elle lui était revenu. Etonnante cette gourmandise avec laquelle elle s’en était rassasiée à Rouen, après que sa mère, Loanna et Jaufré les eurent quittés. Une gourmandise qui l’avait laissé, lui, aussi alangui dans son fauteuil que désemparé.
    — Un dernier cadeau, mon sire, bien loin de vos saillies. Je les laisse à ma rivale. Sans le moindre regret, avait-elle affirmé en s’essuyant la bouche.
    Jamais auparavant elle ne le lui avait offert. L’avait-il seulement demandé ? Non. Non, bien sûr. Il réservait cette pratique, réprouvée par l’Église, aux dames de joie qu’il payait. Elle s’était redressée, avait tourné les talons et quitté la pièce. Au soir venu, elle lui avait refusé sa couche, le laissant derrière la porte bouclée. Aliénor n’était pas éteinte d’ardeurs, bien au contraire. Elle n’avait réembrasé sa flamme à lui, appelé la luxure, que pour mieux le lui affirmer. Alors, que signifiait ce discours ? cette prétendue abnégation envers Rosamund ? Elles se détestaient hier. Amies ce jourd’hui ? Il ne le pouvait croire. D’autant plus que les lettres de Rosamund n’en laissaient rien percer. Si Salisbury n’avait espionné pour lui, il n’aurait pas même pu deviner que sa maîtresse était demeurée à Woodstock, transgressant les consignes qu’il lui avait données. Alors quoi, bon sang ! Nouveau cadeau d’Aliénor, comme à Rouen, pour l’inciter à servir les intérêts du royaume et par là même les siens ? Ou vertu détournée ? Son vit retomba en même temps que les mains du barbier de son bras bandé. Henri se dressa, bousculant la table sur ses tréteaux, faisant sursauter l’homme qui recula d’un pas.
    — Vous aurais je épinglé ? s’enquit-il, l’œil inquiet sur l’agrafe.
    Henri le fixa sans le voir, absorbé par ce souvenir d’hier. Les corps entrelacés d’Aliénor et de Loanna de Grimwald. Le plaisir interdit. Le lien de chair qui avait sûrement ramené Aliénor dans ses filets à lui.
    — Non, non. Bien sûr que non, lâcha-t-il pour lui-même, soulageant le barbier qui se dépêcha vers l’issue et d’autres blessés.
    Tandis qu’il passait sous le rabat de toile, la bruine couvrant de nouveau ses épaules sèches, le front d’Henri s’emperlait de sueur. Le roi dut se rasseoir, gagné d’angoisse.

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