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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Aliénor était bien capable de l’avoir cocufié.
     
    *
     
    Eloïn et Mathilde ne se quittaient plus, laissant mon Geoffroy, Richard et Henri le Jeune s’escarmoucher ensemble malgré le brouillard qui s’enroulait autour d’eux comme autant d’adversaires cachés. Refusant les salles d’armes où nombre de chevaliers en mal d’action s’entraînaient, ils préféraient le labyrinthe des jardins de Woodstock, s’y perdaient, s’y rejoignaient, s’y harcelaient de l’épée mouchée, y riaient, avec la même envie au cœur. Devenir les meilleurs, les plus habiles, les plus retors face à l’ennemi, face au danger. Mon Geoffroy pour tromper sa constitution, enjeu gagné chaque jour davantage, Richard pour pouvoir se frotter à ses vassaux aquitains rebelles à toute autorité, Henri le Jeune pour se garantir de l’étoffe d’un grand roi guerrier. S’ajoutait souvent à leur compagnie le jeune Guillaume le Maréchal, neveu du comte Patrick de Salisbury, avec qui ils avaient noué une amitié solide.
    Les journées filaient donc au rythme de leurs affrontements, sur lesquels certains prenaient autant de paris qu’ils en perdaient. Nous, dames retranchées derrière les murailles altières et les larges fenêtres de l’élégant corps de logis rectangulaire du château, vivions au rythme du trousseau de Mathilde. Aliénor l’ayant voulu somptueux, Henri avait dressé taxes en conséquence, ainsi que le permettait la coutume anglaise. À cela, peu de temps avant sa mort, l’emperesse avait ajouté une généreuse participation. Mathilde revenait souvent avec tendresse sur sa grand-mère et sur ses mots destinés à apaiser ses craintes à leur dernière rencontre.
    « Ton prénom te prédestinait à ma succession dans le Saint Empire germanique. L’on se souvient de moi encore comme de la fille du roi d’Angleterre, qui bouleversa l’ordre établi parmi les grands de la cour. Il est heureux qu’une autre Mathilde, de même lignée et tempérament, y fasse son entrée. S’il a l’âge de ton père ou à peu près, Henri de Saxe ne manque ni de charme ni de panache. Il aura à cœur de te choyer et de t’élever à la place qui t’échoit. Telle la grande dame que tu es déjà. »
    En suivant le convoi funèbre, Mathilde la Jeune avait soudain mesuré à quel point sa grand-mère se sentait fière de la voir conquérir une terre qu’elle-même avait aimée jusqu’à la mort de son empereur d’époux. Ses dernières réserves étaient tombées dans la promesse posthume de s’en montrer digne. Depuis, elle s’employait avec sa mère, Rosamund, Eloïn, moi et quelques autres à parfaire ses atours. Ils étaient princiers. Outre les parures de diamants, les cinquante-six coffres en argent marquetés, incrustés d’émeraudes et la vaisselle d’or, s’ajoutaient les tissus les plus précieux, les toilettes les plus délicates, mais aussi des selles d’apparat rembourrées de plumettes et recouvertes de soie ou de brocart. Sans compter les linges de table ou de toilette que nous nous appliquions à broder de ses initiales tout en devisant de tout et de rien. Chacune y allait de son couplet, qui sur le mariage, qui sur les enfants, qui sur les devoirs d’une épouse, qui sur ses droits, puisant dans sa propre expérience. Aliénor était seule à oser y aborder le sujet de l’infidélité, ourlant vers Rosamund un regard complice. Mathilde l’avait compris, comme chacun des enfants d’Henri. Le roi avait failli. La reine avait pardonné.
    — Un homme reste un homme, ma fille. Il va où ses pulsions le portent et, bien que l’Église condamne l’adultère, sache qu’un époux s’en voit absous par le Très-Haut autant que par l’usage. Là où une épouse fautive se verra répudiée, battue ou parfois assassinée, lui recevra un sermon avec pour tout châtiment un Pater et deux Ave. Deux poids, deux mesures qui laissent peu de place à l’amour, le vrai, le pur, en nos vies de femme. Il te faudra donc, toi, te contenter du courtois, et avoir pour les amants l’indulgence d’une reine.
    Et Mathilde de se dire que sa mère en avait bien trop pour la catin rieuse à ses côtés, parce que, aussi bien que ses frères, elle-même l’aurait déjà piquée de l’épée. Évidemment elle ignorait, comme tous au castel, les douces punitions que la reine infligeait à sa rivale sitôt la nuit tombée. En deux mois, elle était arrivée à ses fins. Rosamund Clifford était autant

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