Le règne des lions
gloire attendra, messires.
Richard redressa le menton avec fierté.
— Un Plantagenêt ne recule pas.
Salisbury coula un œil circulaire sur leurs adversaires. Ils espéraient une reddition totale. Là était, provisoirement, leur chance. Il fixa le jouvenceau.
— Non, vous avez raison. Un Plantagenêt ne recule pas. Il jauge la situation et agit au mieux pour son royaume. En celle-ci, votre père tournerait bride pour mettre sa reine à couvert. C’est ce qu’en son nom j’attends de vous. Empêcher qu’elle ne soit faite prisonnière.
Richard le lui concéda avec sa rapidité de jugement coutumière.
— Je couvre vos arrières, ajouta Salisbury.
— Rendez-vous, vous êtes faits, lança, sûr de lui, le plus jeune des fils du comte de Lusignan en se détachant d’un pas de son armée.
Richard adressa un signe de tête au troubadour, au jeune comte Thomas de Cognac puis à son frère.
— A mon signal, indiqua encore Salisbury.
Il le lança dans un hurlement sauvage en piquant les flancs de sa monture. Dans cette brèche de surprise qui précipita ses hommes, son neveu Guillaume et lui-même au-devant de leurs adversaires, les enfants royaux et leurs amis firent volte-face pour rejoindre la reine.
Elle eut un dernier regard pour son amant, déjà engagé dans l’assaut, l’épée au poing, avant d’entraîner les siens à bride abattue à travers la forêt.
Deux lieues. Deux lieues à couvrir pour lui dépêcher un cheval, un heaume, un haubert, des renforts. Le sauver. Le sauver…, songeait-elle en harcelant les flancs de sa jument vers les murailles rassurantes de Poitiers.
Elle y parvint la première avec le sentiment d’arracher du temps à la fatalité, en hurlant pour précipiter ses gens dehors :
— Haro ! Aux armes ! Aux armes !
Moins de dix minutes plus tard, ils étaient quarante qui s’élançaient dans un soulèvement de poussière. Sans ses fils que, d’autorité et contre leur gré, elle avait imposés à la garde du castel dont la herse fut rabaissée. Commença alors pour elle l’attente. L’attente entre l’espoir et l’angoisse, qui la précipita dans l’escalier pour ouvrir la fenêtre de la tour la plus haute, suivre l’avancée des cavaliers et tenter d’apercevoir, au-delà de la forêt, des bribes de la bataille. Elle ne la vécut que par le martèlement des sabots et le choc des lames répercutés par l’écho quand toute vie alentour, jusqu’au chant des oiseaux, s’était tue.
54
P atrick de Salisbury avait toujours guerroyé d’instinct, comme son roi. Il sentait l’adversaire. Le respirait. Au point d’anticiper chacun de ses coups et finalement de vaincre. Il s’était ainsi essayé à tous les terrains, à tous les temps, à tous les gabarits. Jouant de finesse autant que de force, de ruse autant que d’adresse. Il connaissait ses limites, le moyen de les repousser, mais aussi ses faiblesses qu’il n’offrait jamais à l’ennemi. Cette fois, pourtant, était différente. Il n’était pas armé. Pas pour tenir longtemps contre cette troupe vindicative. Leur seul recours, en attendant les secours que la reine ne manquerait pas d’envoyer, était de se retrancher au couvert des arbres et de s’en servir de bouclier. Il n’avait donc accordé que quelques minutes à Aliénor avant d’ordonner le repli stratégique. Les Lusignan n’étaient pas dupes. Ils devraient les découdre ou les contourner avant de pouvoir s’élancer derrière les fuyards. Dans les deux cas, l’écart serait suffisamment creusé pour les mettre hors d’atteinte. Cela seul comptait pour Patrick. Pour autant, il le savait d’expérience, les Lusignan ne quitteraient pas la place sans une victoire. Henri retourné en Angleterre, ils voudraient réparation pour leurs terres incendiées et leur exil. Il chercha des yeux son fils et son neveu, embusqués à quelques toises de lui, glanant de maigres secondes avant l’inévitable fin. Leur témérité n’était pas une légende. Comme tantôt, ils rendraient coup pour coup.
— Formez bloc, insista-t-il alentour, refusant de s’attarder sur l’estafilade sanglante à l’épaule de Patrice.
Habilement abrités derrière les troncs, les survivants des deux premiers fronts, une dizaine à peine, tenaient fermement la bride de leur monture et formaient cercle, se protégeant ainsi les uns les autres d’une attaque par-derrière. Malgré cela, Salisbury en était convaincu, si les Lusignan
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