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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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L’attitude indigne de son vassal enragea Aliénor au point qu’elle exigea sa tête. Début mai, une armée de mercenaires était levée. Elle en confia le commandement à Guillaume le Maréchal, remis enfin, qui se souvenait bien des alliés de ses ravisseurs. Patrice de Salisbury fut son bras droit, Guillaume de Tancarville le gauche. D’un même élan vengeur, ils se mirent à sillonner le Poitou et le Limousin. Jamais expédition punitive ne laissa autant de traces en Aquitaine.
    Si bien que, le 24 juin, alors que je reprenais route avec Aliénor, ses enfants et ma fille pour Blaye, les Lusignan au grand complet pliaient genoux sur les bords de la Vonne, à hauteur de Jazeneuil. Ainsi que l’avait exigé la reine, tous leurs biens furent confisqués. Ne devant qu’à leur rang de ne pas être roués, ils n’en furent pas moins jetés dans un cul-de-basse-fosse. Dans l’attente, ajouta Aliénor, qu’elle trouve le moyen de leur pardonner.

55
     
     
    M e permettez-vous ?
    Aliénor essuya d’un doigt rapide la larme qui débordait sa paupière inférieure. Face au fleuve, sur le chemin de ronde des fortifications de la ville haute qui regardait vers le Médoc et l’embouchure de l’estey, elle était venue isoler ce chagrin qui, par moments, vagues douloureuses, l’amenait au souvenir de Patrick de Salisbury. Elle se retourna vers la voix familière. Bernard de Ventadour fut devant elle, à moins de une toise, les bras croisés sur la poitrine, une épaule accolée au tronc épais d’un chêne dont les branches centenaires offraient ramure propice à adoucir l’éclat, trop vif, du soleil. Son teint légèrement hâlé faisait ressortir l’ébène de sa chevelure comme de son regard, dans ce visage glabre que les années passant avaient à peine écorché. Depuis combien de temps, silencieux et fidèle, attendait-il de la rejoindre ? Elle lui sourit avec tendresse.
    — Vous le savez bien, mon ami.
    Il allongea un pas nonchalant jusqu’à elle.
    — A dire vrai, ma reine, il y a bien longtemps que je ne sais plus rien.
    Elle baissa les yeux sous la fougue douloureuse des siens, ravivant sa propre blessure. Elle lui tendit pourtant la main. Il la saisit avec cette délicatesse des chantres dont elle avait toujours été si gourmande, puis il revint la poser sous la sienne sur la pierre d’un créneau, tous deux se plongeant côte à côte dans la contemplation du fleuve. Quelques minutes durant, ils se laissèrent prendre par les bruits alentour qui meublaient leur silence. L’appel des gabariers au pied de la falaise, des bribes de conversation sur le chemin qui, depuis le village proche de Saint-Martin, ouvrait la voie aux pèlerins de Compostelle, les sonnailles de cloches des abbayes Saint-Romain et Saint-Sauveur qui se répondaient par-delà la petite rivière Saugeron, au pied de la butte qu’avaient envahie le castel et son enceinte. La gouaille du petit marché journalier près du port, le piaffement des chevaux de bât, le braiment d’un âne, des rires et des chamailleries d’enfants, celui des petites gens et cette musique de psaltérion qui s’échappait d’une des fenêtres du castel. Richard, à n’en pas douter, songea Aliénor avant de cligner des yeux, éblouie par les eaux miroitantes. Un soupir lui échappa, brisant l’immobilité dans lequel, une nouvelle fois, le troubadour s’était installé.
    — Il vous manque n’est-ce pas ?
    Elle tourna son visage vers lui, acceptant cette fois le jugement de ses prunelles sombres.
    — Tout prend du temps, Bernard. Ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre.
    — Certes non. Mais certaines ardeurs ne meurent jamais.
    Elle décrocha ses doigts du rempart et cueillit d’une caresse cette joue qu’elle avait tant embrassée autrefois, tandis que Louis de France se flagellait en secret du désir qu’elle lui inspirait. Pas une fois elle n’avait regretté de cocufier ce moine époux, pas une fois elle n’avait regretté les étreintes tendres de Bernard, la naissance illégitime de Marie.
    — N’êtes-vous donc pas guéri de mon indifférence, de mon égoïsme, de ma froideur ?
    Il déposa baiser dans le creux de sa paume sans la lâcher du regard. Elle en fut troublée plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Lorsqu’il retira ses lèvres, ce fut dans un sourire.
    — J’attends mon heure, ma reine. Malgré la promesse que je fis autrefois à votre époux de me tenir loin de vous, malgré vos faux-fuyants

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