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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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refermaient, des laquais qui s’empressaient auprès des gens de notre suite. Nul à part moi, et Jaufré. Se reprenant aussitôt en croisant mon regard appuyé, l’emperesse repoussa délicatement l’enfant. Trop tard, comprit-elle. Elle m’adressa un sourire triste, complimenta Eloïn, puis se redressa tandis que, enfin, je m’avançai au bras de Jaufré.
    Elle me pressa dans les siens, la bouche contre mon oreille.
    — Il semble que le temps soit enfin venu, ma fille, de briser le sceau du secret…
     
    Elles étaient deux sœurs. Plus que des jumelles. Des siamoises, accrochées l’une à l’autre par la peau du ventre, différentes pourtant de traits à leur naissance. Tuant leur mère, elles naquirent une nuit de pleine lune en la forêt de Brocéliande. La ventrière les sépara, persuadée qu’aucune des deux ne survivrait. Dix ans plus tard, elles prenaient le chemin de l’Angleterre pour parfaire leur éducation à la cour du roi. Bien vite, leurs dons se développèrent. L’une les accepta, Guenièvre. Pas l’autre, Aude, dont la beauté, irréelle, attirait les regards. C’est alors que dame Mathilde se retrouva veuve de l’empereur du grand Empire romain germanique. Les deux fillettes, élevées par la famille de Grimwald, furent au cœur des événements qui suivirent. Guenièvre ne songeait qu’à reprendre la place de sa mère, dans l’ombre du royaume, Aude à convoler. Le roi d’Angleterre venait de perdre son fils dans le naufrage de la Blanche Nef, et Geoffroy le Bel, comte d’Anjou, du Maine et de Touraine, sa première femme. Il fallait un nouvel époux pour Mathilde, un époux qui puisse donner un héritier à l’Angleterre. Le roi envoya les deux jouvencelles, alors âgées de seize ans, au-devant du grand-père d’Aliénor, Guillaume IX, dit le Troubadour. Près de lui, ce jour-là, se tenait Wilhem du Puy du Fou qui partagea au premier regard l’amour foudroyant dont Aude le couvrit. Indifférent au trouble des deux jouvenceaux, Guillaume IX mit une condition à l’union de ses vassaux Mathilde et Geoffroy : le pucelage d’Aude, dont la somptueuse beauté l’avait touché. Pour la première fois depuis leur naissance, les deux sœurs se disputèrent violemment. À la cause de l’Angleterre qu’invoquait Guenièvre Aude opposait l’amour. Sans plus attendre, bousculant toute convenance, elle s’en fut trouver Wilhem du Puy du Fou et lui raconta tout. Sa lignée, son devoir, ce lien charnel avec Guenièvre. Elle se dit prête à le suivre, à tout abandonner pour lui, y compris sa fierté, contre cette virginité qui signait, dans le sang, sa liberté. Elle ne lui demandait qu’une chose en retour, qu’il en efface la salissure, en la chérissant sans la juger. Ainsi fut fait. Aude se laissa prendre par Guillaume IX. L’accord fut ratifié. Devenue l’épouse de Wilhem, elle abandonna le destin de l’Angleterre à sa sœur que le roi d’Angleterre plaça auprès de l’emperesse pour la conseiller.
    Cette dernière leva vers moi un regard embué. Nous étions dans une petite pièce destinée à la broderie que des travaux récents avaient joliment rafraîchie. Du feu brûlait dans la cheminée mais j’étais glacée. Au fil de cette histoire, une image reprenait vie dans ma mémoire, floue encore mais qui me disait soudain celle que j’avais oubliée. Prétendant que nous étions, Aliénor, Henri, Jaufré et moi, concernés, l’emperesse avait insisté pour nous la révéler à la veillée, tandis que dans une salle voisine les autres s’amuseraient et les enfants dormiraient. Eviter le sujet le restant de la journée n’avait que grandi mon impatience. Mais j’étais loin d’imaginer à quel point j’en serais, comme elle, bouleversée.
    Ma marraine se renfonça dans son siège, la voix troublée, confirmant ce que j’avais déjà deviné.
    — Tu es le fruit de cette union forcée, Loanna. L’enfant du sacrifice. Celle qui permit mon alliance avec Geoffroy le Bel et la naissance d’Henri. Celle du sang mêlé sur qui une dynastie pouvait se relever. Tu comprends à présent pourquoi tu nous as toujours été si chère…
    Je hochai douloureusement la tête.
    — Et Guenièvre ? demanda Henri, d’autant plus troublé par ce récit qu’il se sentait lui-même coupable de m’avoir forcée.
    — Vouée à l’Angleterre, Guenièvre se refusa à l’amour d’un homme. C’était toi l’héritière de leur race. La dernière. Aude le comprit

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