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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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née.
    L’image du sourire de Guenièvre dans sa rondeur piquetée de taches de son l’emporta sur son masque mortuaire, me ramenant à ce lien si puissant qui nous liait elle et moi. Je l’avais cru de mère à fille, mais sans doute était-il plus profond encore, dans sa douleur d’avoir perdu sa moitié. Des larmes coulaient sur mes joues en réponse aux sentiments contradictoires qui m’animaient. Je les sentais emporter une part d’hier, comme si lentement en moi s’opérait ce deuil qu’on m’avait interdit. Tout à la fois, elles m’allégeaient.
    Submergé par cette émotion qui empesait la pièce, Jaufré embrassa mon front.
    — Etrange destin que le nôtre, murmura-t-il.
    Me revinrent alors les paroles de Merlin à Brocéliande, lorsque j’avais demandé sa guérison.
    « Toi seule le peux, car seul l’amour est magie, Loanna. Rien ne s’obtient sans sacrifice. C’est ainsi. Une vie pour une vie. »
    Je lui souris enfin.
    Aude de Grimwald avait donné la sienne pour moi. Avait-elle perçu, ce jour-là, en me confiant à sa protection, cette communion d’âmes qui me lierait à lui ? De par les pouvoirs qu’elle m’avait légués, je ne pouvais en douter. A cet instant, je sus toute son abnégation. Sa lumière éclata en moi, me ramenant à celle, surnaturelle et fulgurante, qui avait empli ce porche près de l’église Sainte-Geneviève, à Paris, cette fameuse nuit précédant notre départ en croisade où Anselme de Corcheville me piqua de sa lame 1 {1} . J’avais cru alors que Merlin était venu à mon secours.
    Je m’étais trompée.
    C’était elle, cette grande dame, Aude du Puy du Fou, ma mère, qui, jamais, non, jamais, n’avait cessé de protéger mon chemin, et dont ma fille était le portrait.

10
     
     
    Avec l’enlèvement de Marie et Alix, Louis de France avait remporté une bataille contre son ancienne épouse. Son orgueil s’en était rassasié quelque temps avant que ne revienne en lui cette notion de péché qui l’avait précipité au confessionnal. Lui en était pourtant resté un sentiment agréable de satiété. Il le perdit à la lecture de la lettre qu’Aliénor lui fit envoyer dans les semaines qui suivirent le rapt. Elle s’y désolait «  des manières de la maison de Blois-Champagne, quand elle eût eu plaisir à rendre à la France ses filles bien-aimées si son roi le lui avait demandé », car, ajoutait-elle, avec perfidie, «  la descendance de mon époux s’étend avec l’enfant que je porte, m’affirmant plus que jamais la nécessité de voir les alliances respectées  ».
    Aliénor était de nouveau enceinte et s’amusait à le narguer !
    La nuit qui avait suivi, Louis s’était escrimé jusqu’à manquer de souffle sur le corps dépourvu d’attrait de son épouse, les dents serrées sur une prière inaudible qui appelait la volonté de Dieu dans ses retranchements les plus audacieux.
    Deux mois plus tard, il souriait d’aise en annonçant à tous la grossesse de sa reine. Ne restait plus qu’à s’en remettre au ciel pour que lui naisse un héritier.
    Juin de cette année 1157 nous ramena sur la lande anglaise après un printemps redevenu blayais. Il était bon que Jaufré se montre sur ses terres et y marque son autorité. Les comptes qu’on nous présenta démontrant une rigueur exemplaire, nous pûmes en toute quiétude rejoindre Aliénor à Barfleur, au moment où elle s’apprêtait à embarquer. Il avait été convenu d’un commun accord, et depuis le début de leur hymen, que les époux royaux se partageraient la gestion de leurs domaines. Si l’emperesse Mathilde étendait toujours son aile sur la Normandie, il était prudent de sillonner les routes du vaste territoire Plantagenêt pour y maintenir l’ordre et la paix. Henri, cette fois, se chargea du continent.
    Devant l’inquiétude des médecins face à ses voyages répétés, Aliénor haussa les épaules.
    — Fi de vos craintes ! Je vieillis ? Qu’à cela ne tienne ! s’était-elle esclaffée en les repoussant. Si je devais rester au lit à chacune de mes grossesses, je passerais couchée les trois quarts de ma vie, car, entendez-moi bien, d’autres enfants viendront, dussé-je les mettre au monde entre deux chevauchées !
    Je partageais son avis. Plus le temps passait et plus sa vitalité, son enthousiasme et son tempérament s’affirmaient. Etait-ce la perspective de sa nouvelle maternité qui avait adouci sa peine ? Aliénor était plus

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