Le règne des lions
pas très seyant pour une damoiselle. Le terme avait fait son effet. D’enfançonne à damoiselle, elle avait sauté une étape. Elle n’avait pourtant pas le sentiment d’avoir accompli acte de bravoure. En fait, elle fut incapable de dire ce qui l’avait poussée à recueillir le petit Richard dans ses menottes. Elle l’avait trouvé lourd une fois qu’elle avait dû le remonter, d’autant plus qu’en braillant il s’était mis à gigoter des bras et des pieds. Aliénor, qui s’était laissée choir sur l’assise d’un des tabourets, l’avait récupéré. Mais une certitude la tenait. Désormais, d’une manière que son cœur chantait, Richard lui appartenait.
Eloïn examina attentivement les traces, fière d’elle, en pensant que Marie, la fille du baron de Bloxet, se serait sûrement évanouie en voyant sa mère, en larmes, couper avec de fins ciseaux le petit cordon qui reliait Aliénor à son fils. Un instant, elle fut pressée de le lui raconter, puis grimaça. Mieux valait en garder le secret. On la prendrait pour une menteuse. Au pire, ses amies en auraient l’estomac retourné et elle serait punie de les avoir rendues malades. Elle replongea ses mains dans le baquet, brassa l’eau claire pour la faire mousser. Avant d’écarquiller les yeux en la voyant rougir. Rougir jusqu’à former un grand dragon. Des larmes lui piquèrent les yeux. Elle savait bien ce que cela signifiait. Elle chercha sa mère d’un regard troublé. Ne trouva qu’Aliénor, revenue sur sa couche, qui s’était endormie, épuisée.
— Quelque chose t’embarrasse ? demandai-je en repassant le portique de pierre, le cœur anormalement serré.
Eloïn vint se jeter dans mes jambes, la poitrine soulevée d’un hoquet, le regard levé vers le mien, baissé.
Elle n’eut pas besoin de parler. L’image d’Henri blessé venait de me rattraper.
*
La violence de l’impact eût, sans peine, désarçonné un autre qu’Henri. Sa solide constitution le porta juste à un écart qu’il rétablit aussitôt, à peine égratigné à travers la cotte de mailles. Il arracha la flèche d’une main tout en bataillant de l’autre, harcelant les cavaliers, fauchant les fantassins. Le castel s’était embrasé, rougeoyant le brouillard. On n’y voyait pas à plus d’une demi-toise. La fumée piquait les gorges et les nez dans les deux camps, et personne n’aurait pu dire auquel revenait l’avantage. Encore moins de quel côté se trouvait une issue. A un moment, il sembla à Henri qu’une trouée se dégageait, dans laquelle il pourrait entraîner ses hommes, les arracher au chaos. Espérant qu’on l’y suivrait, il talonna sa monture. Hélas, dans le fracas des poutrelles de bois qui se rendaient au brasier, celui des lames qui s’entrechoquaient, des toux, des cris, personne ne vit sa percée. Il se retrouva seul et, en quelques secondes, cerné par sept cavaliers gallois qui le reconnurent d’emblée. Loin d’en démordre, Henri s’enragea. Sa lame fendit l’air à droite, à gauche, trouva une épaule, une cuisse, tandis qu’il évitait les coups qu’on lui voulait porter. Trois tombèrent. Il s’apprêtait à en découdre un quatrième lorsqu’une lance perça le flanc de son destrier. L’animal vacilla et Henri n’eut que la présence d’esprit de sauter pour ne pas en être écrasé lorsqu’il se renversa sur le côté. A terre, encerclé par ces masques qui le jaugeaient en ricanant depuis leurs montures, ses chances étaient minces. Tout en arrachant son poignard à sa ceinture et en réaffirmant sa garde, il sonda les abords d’un regard acéré. Quelques troncs d’arbres émergeaient épisodiquement de la brume, à quatre, cinq enjambées. S’il parvenait à les atteindre, il pourrait s’y cacher. Avisant la brèche entre deux cavaliers qui, pour l’effrayer, cabraient leurs bêtes, il fonça, taillada à gauche dans un mollet, à droite dans une hanche. Le temps que les autres réagissent, la brume se refermait sur lui à l’orée de la forêt. Il prit position derrière un arbre d’allure assez massive pour le masquer, l’oreille attentive aux éclats de la bataille comme au galop de ses assaillants, pressés de le rattraper. Ils ralentirent à quelques pas de lui, s’alignèrent pour rabattre les taillis et ne pas le manquer. Henri s’accroupit le plus silencieusement possible, dos à l’arbre, et, résistant à l’envie d’occire, se laissa avaler par les fougères. Un
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