Le règne des lions
des Gallois passa à le frôler sans le distinguer des autres masses, puis s’enfonça comme ses comparses dans la brume. Henri attendit quelques secondes encore que le bruit des sabots s’étouffe puis revint sur ses pas. Il marcha en direction de l’échauffourée, en quête d’une monture. En trouva une qui charriait misérablement un des siens emporté par une collée. Sans se laisser émouvoir, il arracha l’homme de la selle, s’empara de la bride, posa son pied sur l'étrier. Il se hissait lorsqu’un sifflement agaça son oreille. Le temps qu’il en comprenne l’origine, il s’effondrait, fauché par une pierre lancée d’une fronde, quelque part dans cet enfer ouaté.
Il s’éveilla le lendemain dans une abbaye que les siens avaient ralliée après une maigre victoire, et remercia Gonan de Holceister de l’avoir ramassé.
La guerre continua deux semaines encore, puis, un matin, Henri apprit que la famille d’Owain Gwynedd avait été capturée. Il s’en servit de monnaie d’échange pour négocier la paix.
Lorsqu’il revint à Londres, de longs mois plus tard, le pays de Galles était dompté et l’Angleterre célébrait, avec Noël, le nouveau fils que sa reine lui avait donné.
17
L ’hiver qui suivit vit la naissance d’une petite Marguerite en terre de France et le désespoir du roi Louis. Aliénor ne sut que s’en réjouir. Son aînée, bien qu’alliée à la maison de Blois-Champagne, gardait toujours la prétention au trône. De fait, tout allait au mieux en ce début de l’année 1158. Mon petit Geoffroy affirmait son tempérament farouche, Eloïn voyait grandir son adoration pour Richard et nos affaires en Blaye n’avaient jamais été aussi bien administrées. Henri lui-même savourait la paix. Le pays de Galles baissait museau, les derniers partisans d’Étienne de Blois acquittaient tribut, et même le roi Malcolm d’Écosse, réticent jusque-là à reconnaître sa souveraineté, était venu lui rendre hommage pour ses possessions anglaises. Tandis qu’Henri frappait une nouvelle monnaie, redonnant allant et confiance aux marchands londoniens, Aliénor était de nouveau enceinte. Pour ajouter encore, un de leurs plus fidèles amis, Thierry d’Alsace, en partance pour la Terre sainte, leur confiait son cadet et son comté de Flandre. Autant d’arguments qui, prouvant la puissance et la suprématie des Plantagenêts, en imposaient à la France. Pour l’affirmer plus encore, Henri décida d’un second couronnement à Worcester. Il eut lieu à Pâques devant les plus importants seigneurs anglais et gallois. Y parut même Owain Gwynedd, avec qui Henri s’était réconcilié. Tous relayèrent la beauté d’Aliénor qui, de grossesse en grossesse, semblait s’éclairer quand d’autres se seraient fanées.
En ce mois de mai radieux, nous nous trouvions, elle et moi, à l’intérieur d’une de ces toutes petites chapelles dont la campagne anglaise était parsemée. Nous les découvrions au détour d’un sentier, d’une forêt ou d’un champ. Autorisant à peine la génuflexion de deux personnes, et encore, accolées l’une à l’autre sur un parterre de mosaïque, de carreaux ou de paille tressée, elles étaient toutes rehaussées de trois ou quatre marches pour les garder des inondations et clôturées d’une barrière pour éviter que les animaux n’y pénètrent. Aliénor aimait à en pousser la grille, à prier quelques minutes dans la simplicité du bâti que seules des fleurs coupées ou de menus objets d’offrande égayaient. Parfois, en lieu de l’inévitable croix qui surmontait l’autel de pierre taillée, une branche de bois sculpté accueillait le visage de la vierge ou d’un saint et elle louait le talent anonyme de celui ou celle qui, de longues heures durant, avait façonné ces traits. Jusqu’à ce que, invariablement, elle accroche mon sourire moqueur et que nous éclations ensemble d’un rire gai. Car, à la vérité, ces haltes qui coupaient nos promenades à cheval n’avaient qu’un but, nous isoler de notre escorte et nous permettre de discuter loin de toute oreille indiscrète. Oh ! nous ne complotions pas, non. Mais, pour elle comme pour moi, la légèreté de ces moments d’intimité à médire sur la coiffe de l’une, la médiocrité de l’autre, la voix de crécelle d’un barde ou la platitude de quelques vers qu’il avait fallu encenser parce qu’Henri les aimait préservait cette part d’impertinence
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