Le règne des lions
baiser.
— Je sais ma mie ce qui vous tourmente. Votre sénéchal de Saintonge. Quand allez-vous cesser de l’absoudre ?
— Quand vous-même cesserez de lui donner des arguments pour ses méfaits.
Bien que le ton ne soit ni rancunier ni souffreteux, Henri tiqua.
— Lesquels, par exemple ?
Aliénor redressa la tête. L’amour emplissait son cœur, son âme et, malgré les années qui filaient, malgré les infidélités discrètes de son époux et leurs séparations successives que le gouvernement exigeait, elle le voyait avec le même regard qu’hier. Même si, parfois, par tel acte ou telle phrase, elle sentait son pouvoir s’émousser. Elle sourit.
— Vous le savez bien, Henri. On chuchote aux quatre coins du royaume, vous voyant œuvrer pour placer vos proches aux postes les plus stratégiques de la hiérarchie ecclésiastique. Mes barons en sont jaloux. Plus encore ceux qui, déjà, par vos soins, ont été révoqués. Leurs droits entendaient des taxes que votre cher chancelier fait entrer plus sûrement dans vos caisses que dans celles de mon duché.
Immobilisant sa paume épaisse sur une hanche laissée de nouveau trop en générosité par la naissance de leur cadette, Henri se troubla.
— Je n’ai pas le sentiment de vous avoir spoliée. Ne formons-nous pas un seul empire ?
— Si fait, Henri, si, et je ne vous reproche rien. Au contraire. Vous défendez mes terres et mes gens avec autant d’ardeur que les vôtres, et vous me comblez chaque jour davantage. Mais, vous le savez, j’entretiens pour Raoul de Faye un attachement particulier. Le même que pour le sénéchal de Sanzey. Tous deux me mettent en garde et, pour que je les entende, chacun à leur manière trouve un moyen.
— Je ne crois pas que brigander soit le meilleur.
— Certes.
Henri laissa glisser de nouveau sa main, la remonta jusqu’à l’omoplate d’Aliénor. D’un mouvement impérieux, tel qu’il en était coutumier, il lui imposa de rouler sur lui. Encore. Elle s’en réjouit. Elle aimait ses manières, sa façon cavalière de la prendre, de lui arracher des larmes de jouissance, même si leurs ébats lui laissaient depuis quelque temps un goût d’inachevé, Henri se lâchant en elle plus vite qu’autrefois. Froissant sa chevelure dénouée, il écrasa avec volupté ses lèvres sur les siennes, fouilla l’intérieur de sa bouche d’une langue gourmande, s’excita de la pointe durcie de ses seins alourdis contre son torse. Il la renversa, le vit pointé, le désir exacerbé par l’envie de la plier à sa volonté. Elle gémit d’impatience dans ce souffle qu’il lui interdisait. S’arrachant au baiser, il s’arqua des reins pour mieux la pénétrer, loin. Le plus loin en elle qu’il le pouvait. Elle en cria de plaisir, s’invita à sa danse sans plus de retenue qu’hier, lorsque son corps svelte et musculeux s’enroulait des bras et des jambes autour de lui. Dans ces moments-là, elle oubliait la mère qu’elle était devenue, acceptait les jurons, les audaces de son homme, se repaissait de lui jusqu’en l’odeur de sa transpiration, des piques de sa barbe qui l’irritaient parfois à trop frotter entre le cou et l’épaule. Elle aimait sa rudesse. Elle aimait sa furie chamelle, la puissance de sa trentaine farouche et indomptée. Elle aimait lui appartenir jusqu’à mourir de lui, se rendre dans un feulement animal sous son regard de victoire avant d’écouter le sien rouler tel un grondement de tonnerre et d’en subir l’abat en elle. Alors, seulement, elle éprouvait ce sentiment, comme lui l’instant auparavant, de lui avoir arraché une part de lui-même. Une part de semence qui, peut-être, les lierait plus encore l’un à l’autre et à jamais.
Henri demeura quelques secondes avachi, lourd, sur son ventre en sueur, le nez contre son oreille, le souffle dans l’ambre de ses cheveux. Puis, avec plus de délicatesse que de coutume, il se rejeta en arrière, ignora le tremblement de ses paumes ouvertes sur les draps de chaque côté du visage réjoui et l’embrassa du bout des lèvres.
— Je rembourserai les moines sur le trésor royal, murmura-t-il. Une fois n’est pas coutume.
Une bouffée de joie la gagna tout entière. Il roula sur le côté, indifférent à souiller des fragments de sa jouissance ce ventre repu. Il essuya d’un revers d’avant-bras la sueur qui lui collait au front. Tourna son regard vers elle, muette, domptée.
— Je ne veux pas d’une
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