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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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bordée de laine, tiqua sur le surplis blanc, l’étole et les sandales de corde, au point qu’il fallut lui taper fort l’échine pour le sauver. Becket vint : me saluer tout de suite après. Il regagnait Cantorbéry et m’affirma en riant qu’il ne s’était jamais aussi bien porté, malgré la totale incompréhension de son roi.
    Les mois qui suivirent me donnèrent régulièrement de ses nouvelles. Il se disait heureux d’avoir retrouvé la foi. La vraie. Henri, quant à lui, voyant s’envoler ses espoirs d’unité matérielle et sacrée, n’y trouvait guère son compte. Il décida pourtant de ne pas heurter Becket. Tenta quelques intrusions dans l’ordre établi des affaires divines, prit la mesure des manœuvres qu’on lui laissait, bien peu en réalité. Aliénor refusa de se faire l’arbitre de cette dissension. Outre qu’elle l’avait évitée du temps de leur complicité, elle savait l’attachement que j’éprouvais pour l’archevêque comme ma décision de ne pas m’en mêler. D’autant plus, sans doute, qu’Henri l’avait mal prise lorsque je la lui avais annoncée.
    — Et depuis quand, Loanna de Grimwald, soutenez-vous les curés ?
    — Depuis que mon roi essaie de se prendre pour Dieu, lui avais je répondu, défiant la colère en ses yeux.
    Il avait serré les poings. Une autre que moi aurait vu s’envoler un soufflet. Forte de ce privilège, j’avais poursuivi sur ma lancée :
    — Je sers l’Angleterre, la justice, l’honneur et l’équité, comme le firent celles qui m’ont précédée. Becket en a rejoint la voie par votre seule volonté. Pas la mienne.
    Il s’était mis à battre le parquet, le sang vif à ses tempes.
    — Tu aurais dû me dissuader de le faire nommer archevêque !
    — Et sur quels critères ?
    Il avait écarté les bras dans un geste d’exaspération.
    — Alors quoi ? Ta prescience ne doit-elle pas servir mes intérêts ? mes seuls intérêts ?
    Je m’étais redressée sous l’aiguillon. Ma voix s’était faite aussi rêche que le cilice contre la peau de Becket.
    — Ma prescience, Henri, ne coule pas comme un ruisseau. Elle se nourrit d’absolu, de loyauté et d’amour. Il ne vous suffit pas de claquer des doigts pour la faire jaillir, encore moins pour me retenir. Que voulez-vous que je fasse ? Que je supplie Becket de tomber à vos genoux, de redevenir l’être abject que j’avais fini par repousser ? Que je pervertisse à ce point toutes les valeurs vers lesquelles il s’est de nouveau tourné et qui, parce qu’elles sont vôtres envers l’Angleterre, me gardent près de vous ?
    Il s’était dressé devant moi, m’écrasant de sa prestance. Postillonnant de détermination :
    — Exactement !
    — Eh bien non. N’y comptez pas ou, plus sûrement que lui, vous me perdriez !
    Il avait blêmi. S’était statufié. Puis avait tourné les talons aussi brusquement qu’un animal traqué. Sur le pas de la porte, dans un reste d’humeur, sa main avait balayé l’air, puis, se reprenant sans doute, il était sorti sans rien ajouter. Au lendemain, il avait agi avec moi tel qu’à l’accoutumée et, comme d’autres sujets, désormais tabous, évita d’en reparler.

30
     
     
    J usqu’en octobre, la tension entre les deux hommes demeura larvée. Becket, s’il s’opposait de plus en plus fréquemment aux décisions de son roi, le faisait en privé. Henri en ressortait exaspéré, ulcéreux au possible, mais respectueux, se gardait de traduire sa colère dans les faits. Il n’avait pas pour autant renoncé à plier l’Église à sa volonté. Il attendit le synode de Westminster pour étaler ses intentions au grand jour. Devant l’assemblée des prélats réunis pour examiner les problèmes de la vie ecclésiaste, il annonça haut et clair qu’il entendait prochainement lever taxes sur les terres de l’Église.
    — Quant à vous, vous tous, ajouta-t-il, pointant les bancs de son index, vous serez, du simple clerc à l’archevêque, sous ma juridiction.
    Ce fut un tollé général. Becket le laissa croître quelques minutes, les mains jointes, le regard fixe. Cette idée n’était pas nouvelle. N’en avait-il pas débattu à maintes reprises avec son roi, du temps de ses précédentes fonctions ? Ce qu’il avait encouragé hier, il ne pouvait l’accepter ce jourd’hui. Il avait changé de camp. Et de maître. Il se leva calmement. Aussitôt, le brouhaha s’apaisa et Henri, mesurant, à ce signe, la

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