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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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dissension entre nous, Aliénor. Pour autant, je ne peux désavouer ce que j’ai promis. Écrivez au pape Alexandre III pour qu’il rétablisse quelques prélats de vos gens dans leurs droits. Ils penseront avoir gagné et les miens n’en prendront pas ombrage. Gardez-moi toutefois votre confiance en ce qui concerne les plus hauts postes. Je crains le tempérament des Aquitains. Les Normands sont plus mesurés et y assureront mieux nos intérêts.
    Aliénor hocha la tête. Revint se pelotonner contre lui dans le creux de ce bras qu’il étendit sous sa nuque.
    — Je vous aime, Henri.
    Il la pressa contre lui, ne répondit pas. Elle ne s’en étonna pas. Henri n’était pas homme à exprimer ces sentiments-là.
     
    *
     
    Avec l’approche de la cour plénière, Aliénor présidait celle d’amour à Cherbourg. Séparé d’Henri le Jeune, resté en Angleterre auprès de Becket pour y poursuivre son enseignement, mon Geoffroy s’accordait, comme à son habitude, à enrager ses précepteurs. Eloïn affirmait sa prestance parmi d’autres damoiselles de son âge, dont Marie de France, un des trois enfants illégitimes que Geoffroy le Bel avait eus avec Adélaïde d’Angers. Eloïn s’entendait fort bien avec cette brunette délicate, dont la voix, exceptionnellement harmonieuse, ravissait le cœur de chacun dès lors qu’elle se mettait à chanter. Je découvrais avec ravissement à quel point Jaufré était heureux de les initier toutes deux au maniement des instruments de musique, à la versification et aux vocalises. Si bien que, au soir de l’avent, la cour s’enorgueillit de deux damoiselles, toutes de blanc vêtues, reprenant en chœur ces chants que nous avions si souvent laissés s’envoler.
    De fait, tout portait à la joie. L’Aquitaine, apaisée par les colères d’Henri, avait vu s’incliner ses barons et, bien que les denrées réservées aux fêtes de Noël se fussent perdues dans les intempéries des mois derniers, c’est le cœur léger que nous attendions la nouvelle année.
    Au 28 de ce mois de décembre, l’arrivée d’un clerc envoyé par Thomas Becket et chargé d’une mission de la plus haute importance ravit le cœur d’Henri. Il imagina que son chancelier lui faisait porter, avec ses vœux et comptes, les premiers effets de son siège archiépiscopal. Il ressortit de l’entrevue le front barré et l’œil noir, nous en servit froidement la raison. Estimant qu’il lui était désormais difficile de s’acquitter équitablement des deux charges, Becket lui rendait celle de chancelier.

29
     
     
    J anvier 1163 nous ramena donc en Angleterre. Henri, sur mes conseils, avait fait taire son amertume en des exercices d’armes d’une violence inaccoutumée. Aliénor se rangea à mon sentiment. Trop de fonctions tuaient la fonction. Becket l’avait sans doute anticipé et continuerait de servir son roi en adoucissant les réactions de l’Église. À n’en pas douter.
    De fait, en apparence, rien n’avait changé. Becket apparut aussi servile qu’à l’accoutumée et Henri eut l’air soulagé. Il trouva de même son aîné bien grandi, rengorgé de prestance et de solennité, et put juger sur pièces que son royaume avait été judicieusement administré en son absence. De sorte que, félicitant son ancien chancelier, il ne laissa rien voir de la déception qui l’habitait. Face à ces flatteries que son roi distribuait à l’envi, Becket, pourtant habitué à les recevoir avec gourmandise, lorgnait ses chausses à bouts pointus, entièrement tissées de fils d’or. Lorsqu’il releva le front, nos regards se croisèrent et j’y découvris avec étonnement une tristesse en forme de demande de pardon. Mon cœur se serra. Me serais-je trompée sur lui ces derniers mois ? Homme d’absolu, rongé par le pouvoir, mais contraint par ses démons autant que par son maître, Becket avait donné à sa charge de grand chancelier la splendeur qui lui convenait. J’en fus soudain convaincue. Il l’avait rendue pour d’autres raisons que celles qu’il avait évoquées.
    Dès le lendemain, alors qu’Aliénor et nos enfants s’adonnaient au plaisir des retrouvailles avec Henri le Jeune, Becket me fit mander, chez lui, pour la première fois depuis bien longtemps. J’hésitai à l’y rejoindre. Jaufré me décida.
    — Suis ton instinct, me dit-il après m’avoir embrassée au front, sous la résille de ma coiffe.
    Je recouvris mes épaules d’un mantel de laine, prête

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