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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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à l’entendre sinon à l’absoudre. Depuis que nous nous connaissions, je n’avais que trois années d’aveuglement à lui reprocher.
     
    Becket m’attendait dans une petite chapelle ouverte en sa demeure. S’il n’avait été seul, j’aurais douté que ce fût lui. Dépouillé d’apparat dans une coule noire, en génuflexion devant la croix, il me tournait le dos, nu-pieds sur le carreau, le front courbé sur ses mains jointes. Je m’agaillardis de cette simplicité retrouvée et vins prendre place à ses côtés. Il ne releva pas la tête. Murmura seulement d’un timbre brisé :
    — Pardonnez-moi, mon Père, parce que j’ai péché. J’ai sacrifié ma foi sur l’autel satanique de mes égarements, de ma bassesse d’homme et n’aspire plus ce jourd’hui qu’à racheter mes fautes.
    Mon émotion n’eut d’égale que sa sincérité. Je posai ma main sur son bras, retrouvant le contact de sa robe rapiécée, celle que je lui avais si souvent vu porter à Paris et que j’imaginais depuis longtemps jetée.
    — J’ignore si Dieu vous répondra, Thomas Becket, mais je l’espère.
    Il ramena enfin ses yeux ravagés vers moi, grimaça un sourire triste.
    — C’est votre regard qui m’a sauvé, Loanna de Grimwald. Votre regard sur mes chausses, hier.
    L’avais je baissé avant qu’il ne le fasse ? Je ne m’en souvenais pas, mais il était vrai que leur magnificence m’avait écœurée alors que le royaume tout entier avait souffert de mal ou trop peu manger. Il recouvrit mes doigts des siens épurés de bagues.
    — Elles me sont apparues soudainement laides. Infiniment laides. Tout en moi m’apparut laid. En vérité, je n’écoutai rien des paroles qui furent prononcées hier, submergé soudain par d’autres, lointaines, d’une conversation que nous eûmes à ce sujet.
    — Je m’en souviens.
    Balayés par le jeu des flammes des cierges tout proches, ses traits se détendirent. Avait-il craint que, à l’inverse de son Dieu, je ne puisse lui pardonner ? Il recouvrit mes doigts des siens.
    — Jeûne et mortification seront désormais mes compagnons d’expiation.
    Je tiquai.
    — Est-ce bien nécessaire ?
    — Indispensable. Combien ai-je humilié de petites gens par ma mise ? Combien ai-je souillé de vies en m’offrant à l’existence ? Chacune des aiguilles du lin sur ma peau sera une des larmes que j’ai refusé de voir couler. Seule la souffrance pourra me ramener à la pureté.
    Que pouvais-je lui objecter ? Ne l’avais-je pas moi-même condamné ? Thomas Becket s’appliquerait à sa rédemption de la même manière qu’il s’était appliqué au pouvoir et à ses vices. Tout au moins pouvais-je l’avertir, comme autrefois je l’avais fait.
    — Henri ne l’entendra pas de cette oreille. Il vous a choisi pour que vous le serviez.
    Son œil, affadi de remords, se teinta de détermination.
    — J’en mesure le fardeau. Mais c’est un de plus qu’il me faut porter. J’irai dans son sens, si c’est celui du Seigneur. Me heurterai à lui s’il s’égare.
    Il prit mes mains, les joignit en prière entre les siennes.
    — Une tâche m’incombe. Elle se fera sous le costume que vous voyez, celui des moines augustins de Merton qui me furent si proches. Ma maison redeviendra celle des démunis qui trouveront le boire, le dormir et le manger. L’or, l’argent, les pierreries, toutes ces richesses amassées ces dernières années, serviront à leur cause. Je ne veux plus rien, Loanna, plus rien sinon votre amitié.
    Je m’en troublai. Hochai la tête.
    — Elle n’avait jamais cessé, je crois, bien qu’enfouie profondément dans ce conseil que vous m’aviez donné de l’oublier.
    — En ce cas, je suis riche. Bien plus riche que je n’étais hier. Vous redeviendrez fière de moi, ma petite sorcière.
    Je lui souris.
    — Vous seul devez l’être. Vous seul au regard de Dieu. Et puis cessez de m’appeler ainsi…
    Je me mordis la lèvre, me repris aussitôt :
    — Non. Continuez. Continuez. Je m’aperçois à quel point j’en fus privée dans votre bouche ces temps derniers.
    Il éclata de rire, malgré, je le devinai, ce cilice qui rayait sa poitrine soulevée. Et parce qu’il avait choisi cette fois sa prison et l’assumait en pleine liberté, je l’acceptai aussi pour rire à ses côtés.
     
    Lorsque Henri vit reparaître son ancien chancelier quelques jours plus tard, il s’étrangla de stupeur devant la longue robe de bure noire

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