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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Damoiselle Clifford…
    –… de Launay, Votre Majesté. Je suis mariée.
    Il tiqua, sourit, puis pivota des talons derrière Patrick de Salisbury, me laissant sur le sentiment que cette intervention tombait à point nommé. Je décidai, quant à moi, de rester. Par ses manières, sa douceur, son semblant d’innocence, Rosamund Clifford, soi-disant « de Launay », n’était pas sans me rappeler ma pire ennemie et celle de la reine, du temps de Louis. Béatrice de Campan. Un visage d’ange servant la duplicité et la noirceur d’une âme. Aliénor se laisserait-elle berner comme autrefois ou, avertie par l’expérience des comportements humains, découvrirait-elle très vite les intentions cachées de sa rivale ? Quoi qu’il en soit, aujourd’hui comme hier, elle me trouverait à ses côtés. Forte des mêmes armes. Je les affûtais avec discernement tandis que l’on s’installait sur des bancs, de chaque côté du trône. Béroul, un des barons anglo-normands, apprécié de tous pour ses chansons de geste, avait décidé quelque temps plus tôt de se mettre à l’écriture. À l’exemple du Roman de Brut de Wace ou des légendes arthuriennes, il avait composé un Tristan et Iseult dont il tenait à nous laisser apprécier des passages. Rosamund Clifford se glissa avec délicatesse entre Eloïn et Marie de France, qui s’étaient écartées à la demande d’Aliénor. Béroul déroula son parchemin, se racla la gorge à la manière d’un héraut.
    « Oyez, oyez, bonnes gens et Votre Majesté, la tragique histoire d’un amour interdit, de deux amants, d’âme et de corps si entremêlés… »
    Je n’écoutai pas la suite, attirée par les réactions des quatre femmes que, de mon coin, je pouvais surveiller. Eloïn avait fermé ses paupières sur un songe intérieur, dicté, je le devinai, par la présence de fourberie à ses côtés. Marie de France pianotait des doigts sur un instrument imaginaire, en quête d’une musique que le conteur lui inspirait, Aliénor jetait quelques regards à la dérobée vers Rosamund Clifford. Rosamund Clifford dont l’œil, soudain empli de tristesse, s’était discrètement mis à couler.
    Je compris aussitôt que ce simple détail venait d’alerter ma reine. Il me fallait agir. Agir avant un scandale qui la laisserait anéantie et humiliée. Béroul, comme la veille, retiendrait l’attention de tous pendant une bonne heure au moins avant que ne lui succèdent les joglars. Me décrochant du mur contre lequel j’avais appuyé une épaule nonchalante, je quittai la salle de réception à pas feutrés.
     
    Henri n’était pas loin. Retranché dans une pièce attenante pour décider de la conduite à tenir face à sa maîtresse, il venait d’engloutir quatre godets d’élixir. Son teint était vif, ses joues rouges. À ma vue, il congédia Patrick de Salisbury qui, pour le sauver de son embarras, était venu le quérir. Je demeurai à quelques pas de l’huis refermé, les mains jointes au dos. Enveloppée d’un silence qui le mit mal à l’aise. Il s’en accommoda quelques secondes dans une nouvelle lampée puis, ragaillardi par la boisson, reposa violemment le hanap d’argent. Son cou, de naturel épais, forcit davantage encore. Ses bras s’ouvrirent dans un mouvement d’exaspération.
    — Alors quoi ? Qu’est cette mine ? Ne puis-je seulement disparaître quelques minutes sans qu’on m’envoie chercher de part ou d’autre ?
    — Loin de moi cette idée, mon roi. Je m’inquiétais juste de vous.
    Il leva les yeux au ciel.
    — J’ai passé l’âge de vos inquiétudes, Loanna de Grimwald.
    Je lui offris un sourire complice.
    — Mais pas celui des sottises, visiblement.
    Il me foudroya d’un œil mauvais. J’éclatai d’un rire léger.
    — Allons, Henri, cessons voulez-vous ? Je me doutais bien, et depuis fort longtemps, qu’une jolie dame était l’objet de votre éloignement. Et, j’avoue, piteusement, que j’en ai été soulagée.
    Il eut cet air hébété de sa prime enfance, lorsque, avertie de ses bêtises par quelque valet, j’arguais de mes pouvoirs pour l’obliger à la vérité avant de m’en faire la complice et de lui pardonner. Je m’approchai enfin, enlevai le flacon ouvragé de son plateau pour m’en servir une rasade. Henri referma le bec. Demeura muet. Dans l’attente sans doute d’une sentence. Ne l’avait-il pas crainte au point de condamner Becket ? Tout en sirotant élégamment une gorgée au

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