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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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déposé. Elle secoua la tête pour en chasser l’augure, le verdict. Non. Pas si vite. Pas si vite, l’amour ne naît pas de l’instantané, se répétait-elle pour s’en convaincre tandis qu’Henri s’éloignait. Il tourna l’angle d’un mur. La lumière s’éteignit avec lui. Dans un sursaut de dignité, elle tâtonna dans son dos pour trouver le loquet de sa porte, le fit jouer. Elle se rabattit à l’intérieur de sa chambre, prise d’une telle panique qu’elle fut incapable d’aller plus loin. Elle demeura adossée à l’huis refermé, le cœur en sang, les mains à plat sur son ventre, la gorge nouée sous ce râle qui l’étouffait. Il finit par jaillir en un gargouillis immonde sans pour autant lui rendre ce souffle qui lui manquait.
     
    Le lendemain, pourtant, la vit telle qu’à l’accoutumée. Si les cernes se devinaient sous le fard, son état pouvait sans peine les justifier. De fait, on en chercha davantage sur le visage épanoui de Rosamund Clifford. Mais, comme Aliénor, la cour en fut pour ses frais. La belle reflétait la sérénité d’une nuit de sommeil et le même sourire enjoué qu’on lui connaissait. Elle l’offrit à sa reine en tout premier dans une révérence aussi délicate que celle de la veille. Aliénor la complimenta, renouvela haut et clair le plaisir qu’elle avait de sa présence, allant jusqu’à espérer la voir se prolonger. Henri, quant à lui, ne parut pas. En début d’après-midi, Aliénor annonçait que le roi, souffrant, priait chacun de l’excuser. Comme Rosamund, elle n’en sembla pas affectée. Cela me troubla d’autant plus que, tuant l’inquiétude de ses vassaux par un battement de mains, Aliénor lança un jeu de chassé-trouvé dans le palais.
    Le divertissement étant fort prisé en ces jours où les bourrasques automnales cinglaient le pays, les groupes se formèrent aussitôt dans un joyeux brouhaha. Aliénor en profita pour se glisser à mon bras. Comprenant son intention, je m’esquivai discrètement à son côté. Elle referma sur nous les portes de ce petit cabinet dans lequel, la veille, j’avais interpellé Henri. Une servante s’approcha, qu’elle chassa sans aménité. Nous nous retrouvâmes seules. Aliénor tremblait.
    — Me diras-tu ?
    Elle eut la réponse que j’imaginais :
    — Rosamund Clifford.
    Je me contentai de hocher la tête d’un air convenu. Elle se mit à marteler le parquet de la pièce d’un pas fiévreux, broyant ses paumes l’une dans l’autre.
    — Tu as donc remarqué, toi aussi.
    — Comme tout un chacun, hier, le trouble d’Henri… Et de nombre de ses barons. La damoiselle éclipse par son éclat toute autre en cette maisonnée. Même Eloïn, soulignai-je à regret.
    Aliénor s’immobilisa pour me fixer. Sa détresse me poignit. Je me précipitai pour lui prendre les mains.
    — Sais-tu quelque trahison de la part d’Henri ?
    — Rien que je n’aie consenti, avoua-t-elle, avant de me raconter leur échange de la veille.
    Je la pressai dans mes bras, écartelée par son courage, harcelée par ma culpabilité. Elle s’accorda au léger balancement de mon buste, acceptant l’espace de quelques instants d’être bercée comme une enfant. Cela ne dura pas. La femme se redressa. La reine, cette reine que j’aimais tant, s’imposa.
    — Henri cuve le vin mauvais qu’il a ingurgité cette nuit avec deux de ses complices, dit-elle, amère. J’ignore si cette beuverie fait suite à ses remords de m’avoir trompée ou à ses regrets de n’avoir pu soudoyer la belle. Je ne connais qu’un moyen de le vérifier.
    Je compris aussitôt son stratagème. Profitant du jeu, Rosamund n’allait pas manquer de se précipiter dans les appartements du roi pour y prendre de ses nouvelles. J’aurais pu dissuader Aliénor. Je n’en fis rien.
    — Et ensuite ?
    — S’ils n’éprouvent l’un pour l’autre qu’attirance, elle ne se montrera pas et je passerai mon chemin. Dans le cas contraire…
    Ses yeux étrécis s’embrasèrent de haine. Je soupirai.
    — Tuer ta rivale ne te rendrait pas l’amour d’Henri, Aliénor, bien au contraire.
    Elle eut un rictus cruel.
    — Rassure-toi. Ma furie est aussi froide et calculée que l’a été ma nuitée. J’aurai la dignité qui convient…
    — Pour mieux de vengeance, si j’entends bien…
    Ses traits se durcirent d’une impitoyable détermination.
    — Dans quel camp serais-tu alors, Loanna de Grimwald ?
    — Le tien, ma reine.

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