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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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l’aurait méprisé d’être si laid.
    Je n’étais pas dupe. À lui trouver trop de qualités en public, Aliénor se réservait les défauts de la belle en privé. Je devinai sans peine qu’en cet instant où elle se devait de tenir son rang, d’imposer sa supériorité elle avait déjà lu dans l’attitude de son époux, sinon la vérité, du moins celle qu’il était en train d’amener. Henri était séduit par cette donzelle ? Fi donc ! Qui ne l’était ? Elle-même, par cette attirance d’autrefois qui l’avait alanguie sur ma couche, en devinait les attraits. Qu’avait-elle donc à craindre ? Une coucherie de plus de la part d’Henri ? Elle en avait essuyé d’autres. Beaucoup d’autres. Certes, plus discrètes. Mais, en se montrant d’affection pour Rosamund Clifford, elle obligerait les ragots à se taire d’eux-mêmes. Et, comme pour les précédentes, Henri se lasserait sitôt obtenu ce qu’il convoitait. Autant donc le lui permettre au plus vite, tant qu’elle était grosse et ensuite en relevailles. Ainsi, la gourmandise affichée d’Henri trouverait cause dans son indisponibilité. Une cause qu’elle pouvait, en toute magnanimité, tolérer. Pour le reste, ces aiguilles ardentes qui lui pénétraient le cœur, elle s’en raccommoderait.
    Tandis qu’Aliénor était à son calcul, la soirée déroulait ses fastes, somme toute assez coutumiers. L’on avait beau alterner les entremets, varier les chansons de geste, les cansouns des troubadours, les lais ou les pièces à danser, rien n’amenait guère de surprise. Les jongleries, pitreries, acrobaties ou tours savants se ressemblaient de place en place et je devinai que les grands du royaume, privés depuis quelque temps de débats d’idées ou de nouvelles sordides, ne tarderaient pas à se goberger de l’affaire Rosamund.
    Lorsque nous quittâmes la table sur les souhaits d’heureuse nuit de Leurs Majestés, quelques coups d’œil furtifs escortèrent jusqu’au perron du castel le départ de la belle. Où logeait-elle ? Qui était ce mystérieux baron de Launay qu’elle prétendait avoir épousé ? Personne n’en avait entendu parler. Pourquoi ne s’était-il pas montré ? Où se cachait le sire Clifford, le père de Rosamund ? Souvent dans le sillage du roi, il s’était absenté au moment précis où il eût pu répondre à leur curiosité. Autant d’éléments qui, dès le lendemain, tiendraient les conversations d’alcôve et priveraient les amuseurs de leur auditoire.
     
    Au seuil de la chambre de son épouse, qu’elle occupait toujours seule en fin de grossesse, Henri s’inclina respectueusement devant elle avant de lui embrasser le bout des doigts. Elle retint sa main dans la sienne, lui offrit un regard aussi tendre que pointé d’une jalousie douloureuse.
    — Je sais pour qui vous me quittez ce soir, Henri.
    Bien qu’il eût tout fait pour ce résultat, il blêmit. Ne sut que répondre. Aliénor avança sa main gauche jusqu’à ces traits tant aimés, les cueillit dans sa paume.
    — Voudra-t-elle de vous ? Oui, sans doute. Qui ne voudrait ? J’imagine pourtant qu’elle résistera quelques jours, partagée entre désir et remords. Non pour son époux qui me semble bien inconscient de la laisser, mais par égard pour sa reine.
    Henri baissa les yeux. Elle retint une envie de pleurer. Soupira.
    — Ne vous comportez pas en jouvenceau pris en faute, Henri, mais en roi. Un roi qui s’est toujours emparé des terres qu’il convoitait. Je vous donne mon consent, ne le voyez-vous pas ? Il me coûte autant que vous vous en doutez, mais je vous l’offre.
    Il l’attira contre lui, indifférent au valet d’étage derrière eux qui tenait chandelle sans bouger. Gênée par ce ventre protubérant qui lui interdisait une véritable étreinte, elle leva un menton frémissant vers son regard baigné de pénombre.
    — Je ne vous demande qu’une chose en retour, mon mari. Ne l’aimez jamais. Ne l’aimez jamais, Henri, répéta-t-elle d’une voix suppliante. J’en mourrais.
    Il se contenta de lui biser le front, de l’étreindre quelques secondes encore puis de s’écarter d’elle et de lui tourner le dos. Averti par le mouvement de son maître, le valet le devança le long du corridor. Aliénor s’adossa lourdement contre la porte de sa chambre, ses poings contre son cœur emporté de battements irréguliers. Henri tenait ses épaules voûtées, comme si le ciel tout entier s’y était

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