Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
simple trait, ou large croissant qui révélait alors un chapelet de perles à l’ivoire parfait. Elle faisait la fierté de ses parents, la convoitise des hommes, la jalousie des femmes, sans paraître le moins du monde en être affectée. À cela, prétendait-on, elle possédait un esprit aussi joliment tourné que le reste, une gaîté naturelle et une piété sans faille, comme si, dans son infinie générosité, Dieu avait créé la plus parfaite et la plus modeste des créatures. Henri en était persuadé.
    Mais, comme les autres, Henri se trompait.
    Contrairement à ce qu’il avait cru, leur rencontre à Tintagel n’avait pas été fortuite. Rosamund Clifford avait toujours voulu le roi et se souvenait parfaitement de l’instant où ce désir avait commencé. Elle allait sur ses neuf ans. Son père revenait d’une de ces guerres de vassalité au côté de Geoffroy le Bel. Henri l’accompagnait. Elle s’était inclinée devant eux avec déférence. Geoffroy le Bel avait caressé sa joue, lancé un compliment sur sa délicatesse. Henri, débraillé par la course, les cheveux hirsutes, longues langues de cuivre sur ses épaules déjà massives, avait seulement claqué sa langue dans sa bouche et demandé à boire. Rosamund, habituée à soulever grand intérêt, y compris chez ceux et celles de son âge, venait de rencontrer l’indifférence. Elle ne s’en remit pas. Certes, nul ne vit le changement qui s’opérait en elle. Devant chacun, elle était toujours Rosamund Clifford, à la nature si bien faite qu’aucune malice ne pouvait l’habiter. Mais là où, auparavant, elle ne faisait rien pour attirer l’attention sur elle, peu à peu elle se mit à noter les réactions à sa joliesse. Tel regard plus appuyé amenait de la rougeur sur les visages, tel geste pour replacer une mèche derrière son oreille dilatait les pupilles. Ce lui devint un jeu. Un jeu de plus en plus cruel, que personne ne pouvait interpréter et qui laissait pantelants les hommes, séduites les femmes. Lorsque Henri monta sur le trône, cet Henri dont elle entendait si souvent son père parler, cet Henri qui l’avait ignorée, elle se jugea fin prête à mesurer sur lui l’étendue de ses manœuvres. Certes, il était l’époux d’une des femmes les plus convoitées de son temps, mais Aliénor portait quinze années de plus que lui et Rosamund était persuadée qu’aucun amour ne pouvait naître des mariages d’intérêt. Elle en savait quelque chose. Son père l’avait promise à un être fat, aux jambes courtes et aux bras qui lui touchaient les genoux quand il les balançait. Henri serait à elle. Mieux, il la délivrerait de son promis. Non, mieux encore. Il ferait d’elle la reine d’Angleterre. Voilà. Tel serait son défi. Une bien modeste réparation pour l’humiliation qu’elle avait subie par le passé. Elle annonça à son père qu’elle désirait apprendre, auprès de la reine, les manières les plus délicates. Il ne vit là que le désir légitime d’une future épouse chargée d’une maisonnée. Henri accorda qu’elle paraisse et Aliénor, conquise par les heureux propos que l’on tenait sur Rosamund, laissa, sans s’en douter, la louve s’approcher du berger. Sans cesse en guerroie, Henri fut long à reparaître. Certes, à la cour, Rosamund peaufinait ses arguments, s’attirant louanges et amitiés, mais le temps lui durait d’enfin se mesurer à sa cible. Ce fut à Tintagel. Elle n’avait pas prévu pourtant à quel point l’arrivée inopinée d’Henri, sa prestance, sa virilité la bouleverseraient. Elle tomba en amour. Et décida sur l’instant qu’elle n’attendrait pas davantage pour obtenir ce qu’elle désirait. Servie par le prétexte de la chute de son père, elle quitta l’échafaud, espionna quelques minutes les allées et venues des chevaliers, puis, dans cette guerre des sens si longuement préparée, elle s’en fut de l’avant. Cette fois, Henri plia. Devant son sourire d’abord, puis sous ses baisers. Un mois plus tard, il était si épris d’elle qu’elle obtenait de lui tout ce qu’elle voulait. Tout. Y compris un serment arraché un 6 avril de l’an 1160, alors que, le ventre pourri par l’infection d’une aiguille, elle avait failli passer. Henri, à son chevet, avait supplié Dieu de la lui laisser. Elle avait tourné vers lui ses yeux éteints par ces longues années de clandestinité.
    — À quoi bon, puisque je ne veux plus vivre ?
    Il s’était

Weitere Kostenlose Bücher