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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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moment. Notre roi est versatile. Il attendra et épiera, il aura du chagrin et tempêtera. Il cachera ses sentiments parce que jamais il ne pardonnera la mort de Gaveston. Il finira par se souvenir de moi, me demandera des comptes, mais je ne lui dirai que ce qu’il a envie d’ouïr. Bertrand, voilà que nous entrons dans un temps de péril. Je dois, en toute discrétion, permettre à la vérité d’émerger, et vous, vous devez quitter les lieux. J’ai envoyé des messages urgents à Sa Grâce pour qu’elle me rencontre – Dieu sait quand elle répondra.
    En fin de compte, Isabelle, comme je le pensais, ne tarda pas à réagir. Bertrand et moi avions échangé un baiser d’adieu. Les frères se regroupaient dans les stalles du chœur envahi par les vapeurs d’encens quand Isabelle, sans cérémonie, sans avoir prévenu, escortée de ses quelques écuyers de confiance, se glissa dans le couvent. Habillée de bleu foncé, une cordelière d’argent ceignant la rondeur de son ventre, une croix incrustée de pierreries au bout d’une chaîne d’argent au cou, le visage presque dissimulé par un épais voile de gaze, elle était radieuse. Nous nous rencontrâmes, nous embrassâmes et échangeâmes des politesses dans le parloir du prieur. Près de la souveraine se trouvait Dunheved, dont la figure mate était un masque de contentement serein. Il savait ce qu’il était advenu du corps de Gaveston et me félicita à voix haute de ma diligence, un grand acte de charité, dit-il. Je ne répondis que par un regard froid. Isabelle s’en aperçut, mais continua à bavarder avec gaieté comme s’il s’agissait d’une visite de courtoisie ou si j’avais fait quelques emplettes pour elle au marché voisin. Ce ne fut que lorsque nous fûmes tous les trois dans la roseraie, alors que la lumière commençait à faiblir, que l’air se chargeait du parfum des fleurs, qu’elle renonça à jouer un rôle. Ses Fidèles*, ainsi qu’elle désignait les écuyers de sa maison, ces mêmes jouvenceaux qui l’avaient défendue avec vaillance à Tynemouth, gardaient tous les accès du jardin. Isabelle s’installa sur la banquette d’herbe afin de pouvoir s’adosser contre le treillis couvert de fleurs ; elle se frotta le ventre avec amour pour caresser l’enfant qu’il abritait.
    — Gaveston est mort, déclara-t-elle. Que Dieu lui accorde le repos, mais qu’il en soit aussi mercié.
    En ces quelques mots, elle avait avoué. Elle me regarda du coin de l’œil, puis donna une petite tape affectueuse à Dunheved, assis, silencieux, à côté d’elle.
    — Mathilde, ma chérie*, mon amie, vous disiez dans votre missive que vous vouliez nous entretenir de toute urgence, frère Stephen et moi.
    — Ma fille, interrogea le dominicain, avez-vous beaucoup à nous narrer ?
    Je scrutai sans aménité ce tueur moralisateur.
    — Beaucoup, relevai-je, beaucoup pour juger et condamner.
    Je me tournai vers la souveraine, toujours adossée. Elle avait repoussé son voile épais afin de pouvoir me voir sans mal. Elle n’avait jamais eu l’air si glorieux. Regina Vivat ! Regina Vincit ! Regina Imperat ! – Vive la reine ! Qu’elle triomphe ! Qu’elle commande ! Isabelle avait accompli son destin.
    — Mathilde, dit-elle à mi-voix, j’attends.
    — Quand vous êtes venue en Angleterre, Votre Grâce, commençai-je, vous étiez une enfant, vous aviez treize ans, mais un cœur versé dans la politique et l’artifice.
    Isabelle éclata d’un rire puéril en se cachant la bouche de ses doigts ornés de bagues, son immaculée manchette d’argent vaporeuse tranchant sur le doré de sa peau.
    — Votre époux éprouvait une profonde passion pour son favori. Dieu seul connaît la vérité quant à leurs relations, mais vous, Votre Grâce, ne vous y êtes point opposée. Vous avez plié sous l’orage de peur de rompre, et vous avez attendu. Une crise a suivi l’autre. Le roi, votre époux, était tourmenté et harcelé ; vous de même, mais vous êtes restée fidèle, loyale et placide. Plus tôt cette année, quatre ans après votre mariage, vous êtes devenue grosse, enceinte d’un héritier. L’éventualité que vous puissiez donner naissance au seul petit-fils vivant à la fois d’Édouard I er et de Philippe de France s’est réalisée. Votre époux était fou de joie. Par votre entremise, il faisait taire les sarcasmes, les gausseries de ceux qui brocardaient sa virilité. C’était un prince qui avait

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