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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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longtemps mal installés ! Il faut un peu de confort pour apprécier un spectacle. Suivez-moi à l’intérieur, on a ouvert les portes pour nous.

    L’aménagement de la salle de spectacle était encore plus déroutant que la forme inusitée du bâtiment. Six rangées de loges, toutes égales, habillaient les murs. Elles étaient séparées par des cloisons en biais qui choquaient à première vue.
    — Comme ces loges sont curieuses, osa Cochin.
    — Et vastes, constata Vandières.
    — Elles sont italiennes ! reprit Soufflot en riant. Les Italiens construisent leurs théâtres en accord avec leurs manières de vivre. La loge est ici comme un petit appartement où on invite ses amis. Les opéras durent ici souvent plus de quatre heures… alors on bavarde.

    Il y eut un silence que Soufflot rompit bientôt.
    — Je vous accorde que ce merveilleux bâtiment est en accord avec l’esprit italien, mais quelle beauté ! Et il ne me paraît pas déraisonnable de construire, en France aussi, des théâtres dans le seul but d’y représenter des spectacles.
    — Je n’ose croire, remarqua Cochin, qu’il y aurait en notre royaume beaucoup d’architectes pour renoncer à notre plan ordinaire tant l’habitude a de force.
    — Et si l’habitude est mauvaise ?
    — Qui osera la braver ? Faire fi des préjugés ? Qui osera contredire l’opinion vulgaire ?
    — Il faudra bien commencer un jour.
    Vandières ne s’était pas mêlé à l’échange un peu vif entre ses amis. Il eut pourtant le mot de la fin.
    — N’est-ce pas le but de notre voyage ? dit-il.

    Dans les jours qui suivirent Soufflot leva les plans du théâtre de Turin qu’on attendait déjà à Versailles.
    À l’église Saint-Laurent Soufflot n’entraîna que Vandières. Cochin furetait alors dans la ville son carnet de croquis à la main et on ne pouvait espérer le suivre. Il courait incessamment d’un endroit à un autre, s’arrêtait quand on s’y attendait le moins, puis reprenait sa course folle à travers les rues dans un zigzag imprévisible et dont il était le seul à comprendre la logique. Où donc était Le Blanc ? Peut-être avait-il trouvé en la ville quelque salon où converser avec intelligence. Il était également possible qu’il ait débusqué dans la place une quelconque académie. Les honneurs ne se refusent pas et l’abbé les traquait avec opiniâtreté. Saint-Laurent tenait au cœur de Soufflot. Il venait d’y surprendre l’éblouissement qui l’avait bouleversé à Saint-Pierre de Rome. L’architecte Guarini avait su y piéger la lumière. Soufflot brûlait d’y conduire Vandières, il fallait qu’il lui explique, qu’il lui démontre…
    — Voyez-vous monsieur, Guarini était d’abord un mathématicien. Il n’a eu ni précédent, ni postérité. Il est inclassable, on ne peut le rattacher à aucune école. Il a tout calculé, et… regardez !
    Vandières se taisait, un peu déconcerté. Cette église ne ressemblait à aucune autre. Sa façade ne laissait deviner aucun monument religieux. Était-ce un hôtel ? Un palais ? Il fallait entrer et se laisser séduire. L’égliseavait une magnifique élévation et la lumière ne venait que des parties élevées.
    — La lumière… murmura Soufflot.
    Puis il développa pour le néophyte qu’était encore le futur Directeur des Bâtiments.
    — Tout ici n’est qu’un système parfaitement agencé de formes concaves et convexes, tout repose sur un système de courbes parfaitement maîtrisé.
    Vandières était admiratif. Saint-Laurent était un monument parfaitement étonnant, mais plus surprenant encore était l’intelligence aiguë de Soufflot. Elle tenait dans son compas ? Les imbéciles pouvaient railler. Qui pouvait comprendre et commenter avec la même autorité les calculs de l’architecte italien ?

À Versailles, à Paris, on suivait pas à pas le voyage d’Abel. François Poisson guettait avec impatience la première lettre de son fils, puis la commentait abondamment à qui voulait bien l’écouter. Ceux qui avaient pour lui quelque amitié ou un minimum d’indulgence lui prêtaient volontiers une oreille complaisante et n’en déplaise aux jaloux il y avait des gens qui aimaient bien Poisson, sa truculence, sa belle humeur, son franc-parler. Il manquait de distinction ? Il ne manquait pas de finesse, il savait où étaient ses limites. Il venait rarement à Versailles, sa place n’était pas là. Si on tentait pourtant

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