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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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davantage Soufflot, son intelligence aiguë, sa passion à fleur de peau, ses projets les plus fous, et il se posait invariablement la même question concernant Le Blanc : historiographe ? homme de lettres ? Il ne l’avait jamais vu un papier à la main, mais sa parole coulait avec aisance et rebondissait à propos.
    Se détournant il revint à Cochin qui s’était éloigné vers le bord du promontoire dominant la vallée. Le « petit Cochin », rapide comme du vif-argent, étaiten contemplation. Abel le laissa d’abord à sa réflexion, observant de loin son manège. Il connaissait bien sa manière de faire, un crayon, un papier toujours à portée de main, et vite un croquis ! C’était une placette, une fontaine, une porte joliment tournée, un édifice anodin dont il avait détecté le charme. Mais que pouvait-il donc dessiner dans ce désert ? Pourtant Cochin noircissait fébrilement le papier. Vandières savait comme il était habile à mettre en scène un événement sur un fond travaillé comme une tapisserie des Flandres. On retrouverait sans doute ce paysage dans une de ses compositions. Il s’approcha.

    — Voilà encore des papiers bien remplis, Cochin !
    — C’est qu’il faut tout noter ! On oublie si vite un détail. Dans l’instant on croit avoir tout imprimé dans sa mémoire. C’est trompeur. Demain, un autre paysage, un monument, la couleur du ciel ou les imprévus du chemin chasseront l’émotion d’aujourd’hui. Je sais bien comment les sensations s’enfuient. Que j’essaie dans un moment de rassembler toutes les parts de la beauté de ce lieu et déjà j’aurai oublié. J’en négligerai quelque aspect et tout est important. La lumière surtout, regardez là-bas le miroitement de l’eau, et en contraste l’ombre terreuse du talus.
    Cochin feuilleta rapidement les papiers qu’il tenait en sa main, les montra à Vandières qui fut surpris de n’y trouver que peu de dessins mais des notes en quantité, griffonnées en désordre, biffées, raturées, les pattes de mouche du « petit Cochin ».
    — Vous feriez-vous historiographe, Cochin ?
    Le dessinateur sourit. Vandières lui-même avait du mal à garder son sérieux. Il était déjà évident que Le Blanc n’écrirait pas grand-chose de tout leur voyage, son principal talent restait décidément la conversation, mais comment lui en vouloir ? Ce n’était pas un moindre don pour un aussi long tour mais personne n’avait prévu que Cochin écrirait autant qu’il dessinerait et serait finalement la mémoire vive du voyage.

    Le 25 mars, enfin, c’était l’arrivée à Rome. Quel bonheur pour Soufflot de retrouver le palais Mancini qui abritait l’Académie de France ! Il se mit à raconter, à décrire, à expliquer. On n’entendait plus que lui. Il commentait les belles proportions du palais, sa distribution son décor, qui en faisaient le lieu idéal pour sa destination.
    — Le rez-de-chaussée offre une superbe galerie de moulages pour familiariser les élèves avec les modèles canoniques de la sculpture…
    Il arrêta son discours, il rêvait. Puis finalement il s’exclama :
    — Prodigieux, c’est prodigieux !
    Cochin sourit.
    — Sans doute, dit-il, mais à part cette extraordinaire galerie ?
    — Il y a deux salles attenantes consacrées à l’étude du modèle vivant…
    — C’est passionnant, railla le petit Cochin, mais nous ne logerons pas au milieu des chevalets des peintres, à moins de venir en ces lieux seulement pour leur servir de modèles !
    Le ton était donné, les quatre hommes éclatèrent de rire. Ils savaient qu’ils logeraient dans l’appartement royal du palais Mancini et ils s’attendaient à ce que les lieux fussent superbes, ils l’étaient encore un peu plus. Situé à l’étage noble dédié aux réceptions, l’appartement royal mêlait aux marbres et aux copies d’antiques des meubles précieux envoyés de Paris et des tapisseries des Gobelins. L’agencement des appartements royaux était à la fois un hommage à la magnificence de Rome et le témoignage éclatant des chefs-d’œuvre de l’art français. Tout était calculé pour que personne ne s’y trompât et que chacun s’inclinât devant la somptuosité de la cour de France. L’Académie était clairement le lieu de représentation du pouvoir royal. Cette même préoccupation avait d’ailleurs présidé au choix de l’implantation de cet établissement de prestige. Le palais Mancini,

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