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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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débusquer la moindre œuvre d’art quise cachait à Parme et il se consacrait avec conscience à son métier de courtisan. Le temps lui pesa à peine, il devait au roi de se plier à tous les protocoles, et il l’acceptait avec bonne humeur tant il se sentait heureux depuis qu’il avait échappé à la pesanteur de Versailles.

    Le 7 mars au matin, Abel se trouvant libéré dans l’immédiat de toutes obligations et de toutes mondanités, les quatre voyageurs montèrent allègrement dans leur voiture. Sans l’émerveillement de Turin les compagnons du futur directeur n’auraient pas été loin de penser qu’après d’inévitables détours on allait enfin en venir aux choses sérieuses. Ils se gardaient bien de l’exprimer. Soufflot languissait de retrouver l’incomparable beauté romaine, Cochin avait faim de tout voir, et Le Blanc qui n’avouait aucun but avec précision était ravi de voyager. Les jours étaient plus longs, le soleil plus constant et point encore accablant, il y avait de quoi rendre joyeux des voyageurs moins contents de leur sort que ceux-là. Cochin était le plus facilement enthousiaste.
    — Quel beau pays, s’exclama-t-il aussitôt en route, le printemps est déjà là !
    Vandières fit mine de se pencher pour en chercher l’image.
    — Où donc ? s’étonna-t-il, je ne vois rien.
    — Je le sens !
    — Vraiment ? Le printemps ?
    Soufflot prit son air le plus docte.
    — N’oubliez pas, Cochin, qu’il neige encore au mont Cenis, je puis vous l’affirmer.
    — Le mont Cenis ? Qu’importe ! Nous n’y sommes plus !
    Les rires s’enchaînaient aux plaisanteries, les quatre hommes n’étaient pas fâchés d’être libérés de la pompe et de la raideur des cours, même aussi modestes que celles de Modène ou de Parme. À les entendre rire et deviser on aurait cru quelques jeunes gens échappés de leur académie. À grands tours de roue ils approchaient de Rome. Des haltes permettaient aux voyageurs de se dégourdir les jambes et de ne pas arriver au soir le corps rompu des cahots du chemin. On les faisait sinon en ville, faute d’en trouver sur la route, au moins dans quelque village, autour d’une fontaine ou sur une place. Ces voyageurs trop policés n’avaient pas le goût des déserts.
    Un matin pourtant, alors qu’ils étaient tout proches de Rome, l’infatigable curieux qu’était Cochin, la tête le plus souvent hors la portière, demanda une halte en pleine campagne. Il y prétexta une impatience des jambes telle qu’elles le feraient souffrir s’il ne marchait pas bientôt. Depuis quelques lieues, négligeant toute conversation, il n’avait cessé de scruter le paysage tous les sens en éveil. À peine la voiture se fut-elle immobilisée qu’il jaillit de l’habitacle, sautant à terre, courant presque, puis il s’arrêta, sourcils un peu froncés, un sourire indécis plissant légèrement ses lèvres.
    On aurait pu dire l’endroit quelconque. Un chemin juste assez large pour que deux voitures s’y croisent en y mettant des précautions, un arbre qui étendait son ombre généreuse sur la chaussée rugueuse, un talus dénudé, et plus loin, en contrebas une rivièrecapricieuse qui s’égarait en méandres modestes. Des champs de petite taille, des haies un peu sommaires, et çà et là une ferme dont on ne distinguait que la silhouette plutôt massive. Soufflot n’y avait jeté qu’un regard distrait, entraînant Le Blanc à s’asseoir au plus près du chemin.
    Campé sur une pierre, l’architecte réfléchissait, à voix haute. L’abbé l’écoutait, lui donnait la réplique sobrement. On pouvait compter sur Le Blanc pour soutenir une conversation, n’importe où, sur n’importe quel sujet, et être certain que l’entretien serait brillant. Il était cultivé, intelligent, rapide à suivre le fil d’un discours, et pouvait être éblouissant quand il intervenait. C’était un homme de salon, et ayant brigué si opiniâtrement l’Académie, il dominait comme personne l’art de parler et de faire semblant d’écouter. En cette occurrence c’était sans importance, Soufflot ne lui prêtait qu’une oreille distraite, l’abbé n’était que le contrepoint nécessaire à sa réflexion. Soufflot imaginait, créait, bâtissait en pensée des églises, des théâtres, des maisons, il n’attendait ni approbation, ni contestation. Il parlait pour matérialiser sa pensée. Le spectacle amusait Abel. Il appréciait tous les jours

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