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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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était bien loin du compte. Il avait longtemps redouté le mépris d’une épouse née plus haut que lui et l’avait évité. C’était finalement une Julie Filleul, sortie tout droit d’un univers douteux, qui le toisait. Pieds et poings liés, ayant lui-même tissé le piège où il se débattait, Abel ressassait son souci.

Le quotidien fort heureusement reprit Marigny, et l’ordinaire d’un Directeur des Bâtiments s’il était jalonné de tâches peu exaltantes et répétitives s’ouvrait aussi sur des projets de grande envergure. Si l’aventure matrimoniale n’avait pas donné à Marigny le contentement qu’il en attendait, pour ce qui était des Bâtiments, pas de regrets ! La passion du beau ne l’avait pas quitté. L’argent étant rare pour son ministère, la transformation de Paris était lente, mais elle se faisait.
    En 1769 on commençait à construire les piles de la croisée de Sainte-Geneviève, et s’il était un beau projet à Paris c’était bien celui de Soufflot. Il fallait pourtant se rendre à l’évidence, Soufflot agaçait, Soufflot dérangeait. Les critiques pleuvaient.
    — Du génie ? laissez-moi rire !
    — De l’imagination ? Il copie ! Il reproduit !
    Vite dit ! Soufflot empruntait et réinventait. Loin d’être un imitateur du passé il était résolument moderne, comme il le revendiquait. Voilà bien où le bât blessait les jaloux, leurs arguments ne tenaient pas. On allait donc inventer autre chose. Soufflot avait été trahi par son fameux compas, si sûr ! Il avait mal calculé, on voyait bien là sa prétention, sa suffisance. Sainte-Geneviève ne tiendrait pas debout, l’église à peine à demi construite allait s’effondrer. Il avait fait n’importe quoi, tellementcertain de la protection du Directeur des Bâtiments. Il aurait été à propos de confier ce projet d’importance à un architecte d’expérience. Les piles de la croisée qui devaient porter la tour lanterne n’en pourraient pas soutenir le poids. Le tout allait s’écrouler, on le verrait bien dans quelques semaines !

    Tant qu’il s’agissait de rumeurs Marigny laissa courir les bruits. Quand un architecte, comme le sieur Patte, produisit un mémoire pour prouver le bien-fondé de ces accusations, il fut obligé de réagir. Il l’avait lu attentivement, il était accablant. Accablant seulement si Patte ne se trompait pas lui-même, et s’il était sincère… Tout restait à prouver mais Marigny était atterré. Soufflot se serait-il vraiment trompé ? Et lui-même avait-il été aveuglé par son amitié pour Soufflot ? Par l’admiration qu’il lui portait ? Marigny n’était pas architecte, il avait fait confiance à Soufflot, les yeux fermés. Il avait arraché le projet à Gabriel pour le donner à Soufflot. S’était-il trompé à ce point ? Pour la première fois il doutait de Soufflot, et plus encore il doutait de son propre jugement. Il voulait y voir clair, et vite. Il convoqua Soufflot à la Surintendance.

    Soufflot n’était pas accablé, mais furieux.
    — Le dénommé Patte est aveuglé par sa méchanceté ! Tout ce qu’il veut, c’est faire du bruit !
    — Que voulez-vous dire ?
    — Patte est venu dîner chez moi il y a quelques temps. Il voulait me consulter sur les dômes, et comme il avait l’intention d’aller à Londres pour étudier celuide Saint-Paul je lui ai donné des recommandations. Grâce à mon intervention on lui a ouvert toutes les portes. Puis il est revenu et a déclaré à qui voulait l’entendre qu’il n’était allé à Londres étudier les dômes que pour pouvoir provoquer ma ruine à l’égard de celui de Sainte-Geneviève.
    — Soit. Comprenez pourtant que je ne peux me défendre de quelques inquiétudes.
    — Dans sa prétention il a fait lire son mémoire à Peronet. Ce n’est pas n’importe quel expert !
    — Ingénieur plus que fiable…
    — Peronet a confirmé que mon projet était parfait et que le mémoire du sieur Patte n’était qu’un tissu de médisances aucunement fondées qui ne plaidaient pas en faveur de sa compétence en tant qu’architecte.
    Marigny ne put retenir un soupir de soulagement. Soufflot laissa affleurer un sourire un peu amer.
    — Vous aurais-je trompé, monsieur ?
    — Je ne l’ai jamais supposé, mais aucun de nous n’est infaillible, moi le premier.
    En matière d’excuses Marigny ne savait pas faire mieux. Soufflot le savait et il s’en contenta. Marigny passa

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