Le rire de la baleine
influents du RCD. Ces négociations parallèles n’avaient abouti qu’à de vagues promesses. Ces seconds couteaux se révéleront incapables de prendre la moindre décision. Ils étaient mandatés pour obtenir que je cesse cette grève… « après on verra ».
Les négociations sérieuses ne commenceront que le 27 avril. Maître Chawki Tebib est entré en contact avec des hauts dignitaires du régime. À neuf heures trente, il se présente à mon domicile. Les policiers le repoussent et lui confisquent sa mallette. Alors qu’il s’apprête à rebrousser chemin, il est rattrapé par un officier de la police politique, sans doute mieux informé que ses subalternes : « Maître, excusez-les. Vous pouvez y aller. »
Il est dix heures.
« Voici leurs conditions, m’informe-t-il, flegmatique comme à son habitude, pour commencer les négociations : tu ne dévoiles pas les noms des négociateurs du régime et tu cesses de faire des déclarations incendiaires à la presse. Qu’en penses-tu ? » C’est jouable à deux conditions : ils rétablissent ma ligne de téléphone et ils évacuent le quartier. Quinze minutes plus tard, après que mon négociateur m’eut quitté, un inconnu me téléphone : « Si Taoufik, on vous a rétabli la ligne. » Au même moment, la police quitte les lieux, ne laissant qu’une dizaine de flics planqués dans les immeubles voisins.
Comme par enchantement, les voisins envahissent ma maison, le pâtissier, le boulanger, le vendeur de légumes, l’épicier, le poissonnier, les mains pleines de présents, avec des tonnes d’eau minérale et de sucre. « Pour Ali et Khadija », disent-ils pudiquement. Avec toute cette nourriture tombée du ciel, je fais un banquet du diable en l’honneur de mes visiteurs qui reviennent m’envahir.
À une heure, Chawki Tebib est de retour avec des propositions concrètes. Carthage propose une gestion globale de mon dossier, allant de l’arrêt du harcèlement des miens, de la clôture des dossiers d’instruction de mes deux affaires en justice, de la restitution de mon passeport jusqu’à la libération de Jalel. En contrepartie, je cesse mon ramadan, je donne une conférence de presse où je déclarerai que mon affaire est « tuniso-tunisienne et que j’ai confiance dans la justice de mon pays ».
Je reste prudent. J’accepte cependant d’arrêter la grève sauvage, ce qui d’ailleurs m’arrange. Une grève de ce type te bousille les reins, le foie, le cœur et le cerveau. Mais je maintiens mon jeûne. J’accepte aussi le principe de la conférence de presse, à condition que ce soit Chawki Tebib qui parle. À quinze heures, nous tenons promesse. Dans mon salon, je laisse lâchement mon avocat affirmer avec sang-froid, devant un parterre de journalistes, que « nous avons confiance dans la justice de notre pays ». Plus tard, Chawki revient, aux anges : le palais est satisfait bien qu’il regrette que je n’aie pas mis définitivement fin à ma grève. Les négociations sont donc ouvertes… mais ce n’est pas encore le cessez-le-feu.
Au même moment, Najet est reçue à l’Élysée. À Paris depuis son retour d’Alger, le 24 avril, elle continue à mener l’offensive. C’est mon aile gauche, mon escadron d’élite. Par le biais des médias, des organisations internationales et de la logistique de RSF, elle maintient la pression. Le 26 avril, j’avais chargé Azza d’informer Najet de sa nouvelle mission impossible : « Va voir Chirac et dis-lui que tu es porteuse d’un message personnel de ton frère. » Najet, sans sourciller : « OK, mais quel est ce message ? » Azza : « Débrouille-toi sur place. Il n’a aucun message. » Najet a compris, il s’agit de faire diversion, de continuer à faire du bruit, du tintamarre, de ruser, pour étourdir l’adversaire.
Le 27 à quatorze heures, elle sera reçue par le porte-parole adjoint de l’Élysée, Frédéric Desagneaux. Elle est accompagnée de Patrick Baudouin, président de la FIDH, de Virginie Locussol, de RSF, et de mon ami le peintre espagnol Franscesc Palomares. À l’Élysée, elle reste intraitable et refuse de donner mon pseudo-message : « Je ne le remettrai qu’au président Chirac », insiste-t-elle avec culot. Au bout d’une heure de discussion, sur le perron où l’attend la presse, elle déclare : « Je suis optimiste. Je suis sûre que Chirac va me recevoir. » Elle est parfaite dans ce rôle du sosie du guerrier
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