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Le rire de la baleine

Le rire de la baleine

Titel: Le rire de la baleine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Taoufik Ben Brik
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précédent des troupes et une “mobilisation patriotique”, par la rencontre entre le chef d’État tunisien et l’ensemble des responsables des partis politiques reconnus, syndicats et organisations professionnelles et patronales […] C’est de Carthage que ce dossier a été géré. Et pas par n’importe qui mais par le premier d’entre les Tunisiens, le président Ben Ali lui-même  2  !! » Pour ces deux points d’exclamation, Riadh Ben Fadhel recevra deux balles en plein jour, le 23 mai, à Carthage à trente mètres du palais présidentiel.
    Cette campagne est mauvais signe. Pour Ben Ali, je n’ai pas tenu parole. Jalel ne sera pas relâché. Le 29 avril, il passe en jugement sous l’inculpation d’« agression contre agents de l’ordre public », d’« attroupement sur la voie publique », et « d’atteinte aux bonnes mœurs ». Il encourt un an de prison. La sixième chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis reporte son verdict au 3 mai et refuse de le libérer. À la sortie, maître Chawki Tebib, son avocat principal, se déclare « déçu ». Jusqu’au bout, il avait espéré que le Palais tiendrait ses promesses. Plus de trente-six avocats ont assisté Jalel. Pour eux, ce procès est politique. La veille, l’Ordre national des avocats de Tunisie, pourtant inféodé au régime, avait appelé à observer une grève de quatre heures sur tout le territoire national, afin de protester contre « les agressions policières » qualifiées de « violentes » et de « scandaleuses » dont ont été victimes plusieurs de ses adhérents lors de la bataille de Saint-Augustin. Jalel en prison, je suspends toute négociation et reprends la parole. Sur France Inter, on me demande de commenter cette décision de justice : « Ils prennent en otage l’être le plus important dans ma vie, mon frère siamois. S’il a froid, j’ai froid. S’il a faim, j’ai faim. S’il étouffe, j’étouffe. Ce n’est pas parce qu’ils me rendent mon passeport, qu’ils me rétablissent mon téléphone que je vais cesser ma grève de la faim. On me donne de la pacotille et on m’enlève une pièce maîtresse, la reine. » Aux médias arabes, je récite ces vers d’Amel Denguel, poète égyptien :
    Ne te réconcilie pas même s’ils t’offrent l’or
    Peux-tu voir quand ils te crèvent les yeux
    Et qu’à leur place ils t’incrustent deux émeraudes ?
    Peux-tu voir ?
    La main dont l’épée te transperce
    Vaut-elle celle qui guerroie à tes côtés ?  3
    J’ai profité quatre heures du rétablissement de ma ligne de téléphone. J’ai dit ce que j’avais à dire. Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire : ils coupent ma ligne de téléphone. Retour à la case départ. Dimanche, 30 avril, ma mère, la silencieuse, que je n’ai pas revue depuis la veille du début de ma grève de la faim, se fait annoncer.
    Juste le temps, dans un branle-bas de combat qui mobilise toute la maison, de lui préparer son trône d’impératrice. La maison est nettoyée, parfumée. À quatorze heures, elle arrive, entourée de son fils aîné, Hédi, son banquier, de Fethi, son bras armé, et de l’un de nos cousins, Lotfï, un bagarreur-né. J’avais jusque-là soigneusement éloigné Fethi, ce frère gaucher de trente-sept ans. Ce directeur financier, surnommé Bruce Lee, est un homme dangereux. À dix-huit ans, armé d’une hache, il a saccagé la place du village de Jerissa parce que des membres d’une tribu adverse l’avaient frappé par traîtrise. Le 27 avril, à ma grande terreur, il s’était pointé : « Tu veux que j’ouvre ici une guillotine, et que je transforme ce quartier en morgue ? »
    Planqués dans une 404 bâchée, douze caïds, sans foi ni loi, n’attendaient qu’un signe de lui. Des contrebandiers, des voleurs de troupeaux de moutons, des passeurs de frontières, d’anciens prisonniers, dotés de noms préhistoriques, Ould Sfarjel, Fils de l’aubergine, Mergaza, H’mida El gat, le Chat, Bouzerda, le Bordélique… Douze salopards. Il ne nous manque plus que Lee Van Cleef. J’ai refroidi ses ardeurs : « Tu te crois où ? En Algérie ? Rassemble tes bandits et fous le camp. Je ne veux plus te voir dans les parages. » Entre une mère aux airs d’impératrice, mon frère aîné et ce fou furieux, je crains le pire. Iront-ils jusqu’à me demander de faire évader Jalel de la prison du 9-Avril ? J’invite ma mère à déjeuner, elle me

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