Le Roi amoureux
votre cercueil du bout de mon fer et d’interrompre une minute le rêve d’éternité que vous avez commencé…
Il secoua la tête, et, se mettant aussitôt à l’ouvrage, il commença par compter les rangées de dalles à partir du tabernacle. La dix-septième rangée se trouva à la hauteur de la main du commandeur. Clother vit qu’il avait à desceller une dalle, puis une autre, pour pouvoir fouiller sous le cercueil…
– Allons ! fit-il d’un ton bref. Attaquons cette dalle ; et puis, nous verrons…
Il eut alors, tout à coup, un rire nerveux qui résonna étrangement dans le vaste silence.
– Attaquer la dalle ! dit-il. Et avec quoi ?
Il venait de s’apercevoir – alors seulement – qu’il n’avait pensé à apporter aucun outil pour ce travail spécial. Un pic, un levier, n’importe quoi. Il n’avait rien, – rien que son épée qui se fût vite brisée, et son poignard qui eût été insuffisant.
Le fait est que Clother se trouvait dans l’impossibilité de commencer son travail.
« Mais alors… que suis-je venu faire ici, moi ?… »
Pourquoi, à l’instant précis où il se posa cette question qui, positivement, n’avait aucun sens, cessa-t-il tout à coup de penser au tombeau du commandeur, à la cassette de fer de Ponthus, à la nécessité d’un outil pour lever la dalle ?
Sans doute emporté par une inlassable, une vertigineuse course vers un but qui fuit, notre esprit voit se renouveler et se succéder les paysages de pensée. Mais cette course, en fait, nous la dirigeons, – tout au moins en apparence ; rarement, excepté dans le rêve, une vision s’impose à nous sans que nous l’ayons appelée, agencée même en tous ses aspects, comme un peintre fait d’un tableau.
Pourquoi, soudainement, Clother de Ponthus relut-il d’un trait, en son imagination surexcitée, la relation de dona Silvia et celle de Jacques Aubriot ?
Pourquoi, oui, pourquoi, presque aussitôt, trouva-t-il une réponse à la question ?
Et cette réponse qui lui parut à lui-même étrange au point de le faire frissonner, cette réponse il se la fit à haute voix.
– C’est bien simple : je suis ici parce que j’y ai été appelé… Dans le même instant une sorte de tumulte sourd, étouffé, dans le parc : des gens qui courent, des ordres à voix basse, et puis un grand cri, un appel tragique, une voix de femme jetant à la nuit cette clameur désespérée :
– Clother ! Clother ! Clother !
– Me voici ! hurla Clother de Ponthus.
La femme de confiance de Léonor s’appelait Domenica. Elle était Espagnole. Venue à Paris depuis plusieurs années, elle avait su que don Sanche d’Ulloa prenait possession de l’hôtel d’Arronces, et s’était fait présenter à lui. Agréée en qualité de femme de chambre, ses manières insinuantes et son titre de compatriote lui avaient vite acquis la confiance de Léonor.
C’était une brune d’une trentaine d’années, aux yeux de flamme, aux formes sèches et nerveuses. Physiquement, elle était à ranger dans la catégorie des amoureuses, race impulsive et dangereuse. Quant au moral, elle eût pu toute sa vie demeurer inoffensive, si aucune nécessité de mal faire ne l’eût jamais sollicitée – en cela, pareille, d’ailleurs, à la foule immense des inoffensifs.
Malheureusement pour Léonor, cette Domenica, après de nombreuses aventures qui ne lui avaient laissé que de vagues restes d’une vertu à laquelle elle n’avait jamais cru sérieusement elle-même, s’était violemment éprise d’un uniforme.
L’uniforme faisait partie de la compagnie de hallebardiers qui fournissait la garde du Temple. Domenica le vit et fut vaincue : les formes athlétiques et le visage rose provoquèrent son admiration, de concert avec le baudrier et la toque cramoisie ; quelques effets de torse et de moustache achevèrent de l’affoler : elle rêva de pures idylles.
Ce bon garçon, de qui l’heureuse stupidité complétait harmonieusement la beauté martiale, s’appelait tout bonnement Simon-trompe-la-Soif : c’était jovial et expressif.
Si souvent trompait-il sa soif au fond des bouges voisins du Temple, que la solde n’y suffisait qu’à grand-peine : Simon passait pour assez mauvais payeur.
C’est alors qu’intervint l’idylle Domenica ; elle se noua dans une taverne, un jour que l’intrépide Trompe-la-Soif, l’escarcelle à sec, subissait stoïquement les homériques injures d’un hôte
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