Le Roi amoureux
furieux… Domenica paya !
Elle continua dès lors…
Elle continua de payer, elle continua de tromper la soif de Simon – si bien que ses gages à elle menacèrent, à leur tour, de devenir insuffisants. Or, pour conserver l’affection du brave Simon, elle eût vendu son âme au diable.
Le diable se présenta à elle sous les traits du comte de Loraydan et sous les espèces de quelques écus d’argent… Bref, Domenica devint une espionne aux gages de Loraydan.
Et si parfois, devant le charme et la bonté confiante de Léonor, il lui arrivait d’éprouver quelque velléité de remords, elle se tenait quitte de tout reproche moyennant une solide prière bien et dûment récitée de point en point à l’adresse d’un saint qu’elle tenait en estime particulière, – estime dont le saint se fût aisément passé, croyons-nous.
Domenica s’était chargée, cette nuit-là, d’obliger Léonor à se lever et à descendre dans le parc à tel moment qui lui serait indiqué par un signal convenu.
« Pour obliger dona Léonor à s’habiller, sortir de sa chambre, et descendre dans le parc en pleine nuit, songea Domenica, il y a un moyen, il n’y a qu’un moyen, un seul… »
En effet, il n’y avait qu’un moyen.
Et tout de suite, en comptant les dix pièces d’or reçues en avance du prix total de sa trahison, Domenica y pensa.
Elle entendit le signal.
Domenica pénétra dans la chambre où dormait Léonor et l’éveilla.
Voyant le visage bouleversé de la servante :
– Que se passe-t-il ? demanda Léonor effrayée.
– Ah ! madame, un grand malheur !…
– Quel malheur ?… Au fait, je dois m’y attendre. Quel malheur, voyons, parle !…
– Blessé ! Gravement blessé ! Comment ? Par qui ? Je ne sais ! Et comment est-il dans le parc à cette heure de nuit ?… Enfin il est étendu de son long au pied d’un tilleul… j’ai entendu ses plaintes… je suis descendue…
– Mais qui ? Mais qui donc, ma bonne Domenica ?…
– Il est trop blessé pour arriver jusqu’au logis. Ah ! madame, il vous supplie de descendre le voir… il pleure… il a des choses à vous dire avant de mourir…
– Domenica, c’est moi que tu fais mourir ! Me diras-tu de qui il s’agit !
– Mais, madame, je vous l’ai dit tout de suite. L’ai-je dit ? J’ai la tête perdue… enfin, c’est lui, madame… ce jeune gentilhomme qui vint dans la journée… le seigneur de Ponthus…
Léonor tressaillit et pâlit.
À l’instant, elle commença de s’habiller.
– C’est bien, dit-elle avec calme. Va me chercher l’intendant. Et vite.
Domenica obéit. Quelques minutes plus tard, Jacques Aubriot apparut, effaré. Léonor était vêtue. Elle fouillait un coffret contenant des onguents, de la charpie, des bandes de toile.
– Faites préparer une chambre, dit-elle. Faites descendre dans le parc un matelas pour transporter un blessé. Des hommes avec des torches. Vous-même, venez me rejoindre dans le parc, avec de la lumière. Conduis-moi, Domenica…
Domenica saisit un flambeau que lui désignait Léonor.
Elles commencèrent à descendre le vaste escalier de pierre, aux murs tendus de tapisseries dont les personnages mythologiques s’éveillaient sous les lueurs vacillantes de la cire, pour esquisser des gestes inachevés.
Et maintenant Domenica était pâle – plus pâle que Léonor.
– Où vas-tu ! Où vas-tu ! lui criaient les héros des tapisseries avec leurs gestes tronqués.
– Que fais-tu ! Que fais-tu ! lui disait tout au fond d’elle-même une voix… une voix qu’elle ne connaissait pas… la voix !… la voix que nul scélérat n’arrive à faire taire…
Quand elles mirent le pied dehors, le flambeau s’éteignit. Domenica fut secouée d’un frisson.
– Madame, balbutia-t-elle.
– Eh bien ! fit Léonor, conduis-moi au tilleul !…
Et elle s’élança, impatiente, la gorge serrée d’angoisse, éperdue de douleur.
Dans ce moment, Jacques Aubriot parut, une torche à la main ; ce coin du parc sortit soudain des ténèbres comme une vision qui s’évoque sur un écran noir en vagues lignes fuyantes, et Léonor vit un homme qui venait à elle.
Don Juan Tenorio !…
Léonor se tourna vers Domenica, et il suffit de son regard… une mortelle décharge de mépris : Domenica se couvrit le visage des deux mains, puis elle eut un faible gémissement, puis elle s’enfuit… elle s’enfuit vers la grille du parc, vers les
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