Le Roi amoureux
le rassura, après avoir constaté que cette sorte de garnison qu’il avait installée dans la forteresse était prête à agir en cas de besoin, il appela dame Médarde, qui était la servante de confiance de Bérengère.
– Du nouveau ? lui demanda-t-il.
– Rien, messire. Depuis le soir où il m’a donné dix écus d’or à la Salamandre pour remettre à Bérengère, chère enfant du bon Dieu, cette lettre que je vous ai remise, à vous, je n’ai plus revu l’homme…
– Vous pouvez dire Sa Majesté le Roi de France, fit Turquand avec un sourire terrible.
– C’est cela. Sa Majesté le Roi ! dit Médarde en faisant la révérence. Je n’osais pas.
– Bref. Rien de nouveau aujourd’hui ?
– Rien. Pas plus qu’hier et les jours précédents.
– S’il revient…
Turquand s’arrêta. Dame Médarde eût pu figurer la statue de l’Attention.
– S’il vous demande de l’introduire dans le logis…
– Oh ! Je vous préviendrai, messire !
– Oui bien. Et ensuite…
– Oh ! fit dame Médarde, je n’irai pas lui ouvrir la porte, bien sûr !
Turquand jouait avec une dague qu’il tenait à la main. Il en éprouvait la pointe qu’il appuyait sur son pouce. Il dit :
– Dame Médarde, il faudra lui ouvrir.
Au même instant, la pointe pénétra le pouce. Un large rubis apparut, et un ruisselet rouge coula.
– Seigneur ! fit Médarde, les mains jointes.
– Il faudra lui ouvrir, répéta rudement Turquand… Allez…
Elle se retirait. Il la rappela.
– Dame Médarde, je vous ai promis que, quelle que fût la somme que vous remettrait le roi, je vous donnerais, moi, toujours le double.
– Et vous avez tenu parole, messire.
– À partir d’aujourd’hui, ce sera le triple.
– C’est trop, messire. Ce que je fais, c’est par dévouement.
– J’en suis sûr. Mais je suis sûr aussi que tout dévouement mérite sa récompense. Quant au fait de savoir si cette récompense sera en argent ou en tout autre salaire, il importe peu. Un dernier mot, dame Médarde : le jour ou la nuit où vous auriez à introduire le roi en mon logis, si vous ne me prévenez pas à temps… voyez comme saigne mon pouce… vous voyez ?… ce sera votre gorge.
Dame Médarde frissonna. Elle voulut esquisser un geste. Turquand l’arrêta rudement. Puis il reprit :
– Au contraire, si vous me prévenez à temps, c’est vingt mille livres que je vous donnerai.
– Vingt mille livres ! bégaya Médarde suffoquée.
– En or, dit tranquillement Turquand. La somme est prête. Voyez.
Il ouvrit un tiroir au fond duquel dame Médarde entrevit ce terne éclat que projette un amas de pièces d’or. Turquand referma le tiroir, et, doucement, répéta :
– C’est à vous. Allez et songez-y.
Oui. Elle y songeait. Elle en était éblouie. Retirée dans sa chambre, elle revoyait ce tiroir comble où gisait une fortune… elle y songeait.
« Quand bien même je devrais être mendiante en la cour des Miracles, jamais, non, jamais je ne trahirai la confiance de messire Turquand. Le roi est un grand roi, et je suis dame Médarde. Que peut le roi contre l’honnêteté de Médarde ? Qu’il vienne céans. Il sera bien reçu, j’en réponds. Mais quant à ce digne comte de Loraydan… Quant au seigneur Amauri, fit-elle, il est aimé de cette chère Bérengère, et messire Turquand l’a agréé. C’est un fiancé. Le mariage va se faire… »
Elle eut un soupir d’aise et de contentement.
– Certes, murmura-t-elle, ce n’est pas trahir messire Turquand que de ne pas lui dire que le seigneur Amauri de Loraydan veut voir en secret Bérengère. Ce n’est pas trahir que d’en avoir parlé à Bérengère. Elle résiste, la chère enfant. Mais elle y viendra, je m’en charge. Il n’y a là aucun mal, puisque ce noble et brave Amauri est le fiancé agréé…
Et elle conclut :
– Si le comte de Loraydan me récompense aussi généreusement qu’il l’a promis, me voilà riche pour la fin de mes jours… et je n’aurai fait aucun mal pour cela.
Assise dans une jolie chambre attenante à la salle d’honneur, Bérengère, à la lueur d’un riche flambeau de cette cire odorante que Turquand faisait fabriquer pour elle et dont usaient les nobles dames du temps, feuilletait d’un doigt distrait un beau livre d’heures, enfermé en une opulente reliure d’argent, chef-d’œuvre du maître ciseleur.
Ce fut dans cette attitude de contemplation que Turquand la
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