Le Roi amoureux
seul mes mille pistoles et mes trois cents écus d’or…
Et, en même temps que, dans un de ces spasmes d’agonie où la vie, un instant, reconquiert toute sa puissance, son bras gauche enserrait d’une étreinte furieuse la tête de Joli-Frisé, sa main droite se détendit comme un ressort, ses doigts osseux, ses doigts de fer s’incrustèrent à la gorge, il y eut comme un craquement, Joli-Frisé fut agité d’une secousse, et puis il se tint tranquille, immobilisé dans la même position, à genoux, comme s’il eût écouté quelque précieuse confidence.
M. de Guitalens finit par s’étonner de la longueur de cette confession qui n’en finissait plus. Il rentra dans le vestibule en disant : « Est-ce fait ? » Comme il ne recevait pas de réponse, il s’approcha des deux espions et vit que tous deux étaient morts.
XXIV
« IL EST TEMPS »
Amauri de Loraydan avait assisté à l’échauffourée de la rue de la Hache. Lorsqu’il fut certain que Clother de Ponthus était sauvé, il pleura. Et il dit à Croixmart :
– Monsieur le grand prévôt, si le roi vous fait grâce, nous aurons un terrible compte à régler tous deux.
– Monsieur, dit Croixmart en haussant les épaules, il y a cette différence entre vous et moi que vous servez les intérêts de votre haine quand je sers le bien public et les intérêts du roi. Nous ne pouvons donc nous comprendre et il devient inutile que nous nous adressions désormais la parole.
Croixmart tourna le dos à Loraydan, et Loraydan se demanda s’il n’allait pas se jeter sur lui, le poignard à la main. Il se contint pourtant, et se retira. Le reste du jour et la nuit, il se débattit contre la douleur, la rage et la peur. Il ne revint à la vie que le lendemain matin, c’est-à-dire le lundi 2 février quand il eut appris que Ponthus était arrêté.
Il ne fit qu’un bond jusqu’au Temple, et demanda au gouverneur Guitalens de l’introduire dans le cachot du prisonnier.
– Où l’avez-vous mis ? fit-il avec une joyeuse curiosité.
– Au Petit Purgatoire, dit Guitalens.
– Ah ! très bien. Parfait. Mon cher ami, je parlerai de vous à Sa Majesté.
– Le fait est que nous n’avons pas mieux ici que le Petit Purgatoire, dit Guitalens avec bonhomie. Quant à vous y laisser entrer, impossible. Le rebelle est au secret. Ayez un ordre du roi.
Loraydan courut, au Louvre où il trouva le roi de fort belle humeur.
Sa Majesté venait de recevoir d’excellentes nouvelles de l’empereur.
Disposé maintenant à discuter en toute loyauté cette fameuse question du Milanais, source de tant de mésintelligences et de malheurs, il attendait, pour cela, dans le délai d’un mois, la venue de l’ambassadeur du roi de France, à savoir celui qui avait été choisi et accepté d’un commun accord, c’est-à-dire l’époux de dona Léonor d’Ulloa, le seigneur comte de Loraydan.
– Tout s’arrange à merveille, acheva le souverain. Croixmart m’a dit que c’est grâce à toi, mon bon Loraydan qu’on a pu savoir où gîtait le rebelle Ponthus. Je ne te parle pas de récompense, car celle que je réserve à ton retour des Flandres dépassera tes espérances.
– Sire, dit-il, il est pourtant une grâce que je demande dès ce jour à Votre Majesté. C’est de me laisser pénétrer dans le cachot du sire de Ponthus…
– Qu’à cela ne tienne. Mais que diable as-tu à dire à ce misérable ?
– Sire, Léonor d’Ulloa m’a supplié de lui transmettre quelques paroles, et j’ai accepté.
– Je reconnais là ton esprit chevaleresque. Remplis donc ta mission. Mais l’essentiel, maintenant, est que tu épouses au plus vite la fille du commandeur. L’empereur Charles ne nous donne qu’un mois de délai. Moi-même, j’ai accordé huit jours de réflexion à cette belle indomptable pour qu’elle se décide à t’épouser. Ponthus n’est plus là pour la dominer et la détourner de son devoir. Il faut donc que, dans huit jours, tout soit terminé.
– J’ai donc huit jours devant moi ? fit Loraydan pensif.
– Huit jours. Et c’est beaucoup. Ponthus étant au Temple, prévois-tu quelque autre obstacle ?
– Aucun, Sire.
Le roi se leva et se mit à arpenter son cabinet.
– Ces histoires d’amour me rajeunissent de vingt ans, dit-il joyeusement. Ah ! Loraydan, je donnerais ma couronne pour avoir ton âge. Jeunesse, jeunesse ! Voilà la vraie royauté.
– Mais, Sire, Votre Majesté est encore
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