Le Roi amoureux
au pied de l’escalier.
Le geôlier tira les quatre verrous superposés, manœuvra les clefs des deux serrures et ouvrit la porte. Puis il se retira.
Loraydan entra et leva la lanterne au-dessus de sa tête.
C’était une niche, un trou, un espace de quelques pieds carrés qui semblait avoir été aménagé dans l’une des assises mêmes. Il n’y avait rien là-dedans, rien que des blocs de pierre superposés sans ciment, rien qu’un sol fangeux, rien qu’une voûte d’une monstrueuse solidité, quelque chose comme l’une des épaules d’Atlas portant le monde, rien que deux énormes anneaux de fer sanglants de rouille, scellés à la muraille du fond, rien qu’une double chaîne frappée sur ces deux anneaux, rien qu’un homme pris par les deux poignets aux extrémités de cette chaîne…
Loraydan porta toute la lumière sur le visage de l’homme, et pendant quelques minutes, frémissant de joie jusqu’aux moelles, secoué parfois par cet heureux frisson qu’on a aux heures bénies de l’existence, il se délecta en silence.
Lentement, alors, il hocha la tête et parla :
– Eh bien ! monsieur de Ponthus, vous ne me dites rien ?… Parlez donc… je vous écoute… Vous ne voulez pas ?… Vous avez désiré me parler à diverses reprises. Et encore dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces. Et encore à la taverne de la rue de la Hache… Je vous ai demandé un peu de patience. De cette patience, je ne veux pas abuser… Me voici prêt à vous entendre… il est temps !
Ce mot, à l’instant, rebondit, fut renvoyé à Loraydan comme par un de ces mystérieux échos qu’on trouve à de certains carrefours des catacombes.
– Il est temps !…
C’était Ponthus qui avait répété le mot…
Loraydan tressaillit violemment. Il recula de deux pas, s’assura que la longueur des chaînes ne pouvait permettre au prisonnier de se ruer sur lui.
– Quoi ? gronda-t-il. Que voulez-vous dire ? Puisqu’il est temps, parlez ! Est-ce donc à mon tour de patienter ?…
L’homme se tut, et continua de le fixer.
Loraydan se déplaça, mâchonna une imprécation, puis il dit :
– Monsieur de Ponthus, ne croyez pas que je sois descendu dans votre cachot pour insulter à votre misère. Quel crime vous avez pu commettre, c’est au tourmenteur-juré de vous le faire avouer. Comment tout cela finira-t-il pour vous ? C’est affaire entre vous et l’exécuteur des hautes œuvres. Je ne suis ici qu’un gentilhomme venu pour accomplir un devoir de politesse. Qu’y trouvez-vous à dire ?
L’homme, d’un accent d’inébranlable certitude, reprit le mot de Loraydan, et répéta :
– Il est temps !
– Quel temps ? hurla Loraydan. Que signifie cela ! De quoi est-il temps !…
L’homme se taisait.
Le comte de Loraydan se calma, haussa les épaules, et reprit :
– Vous me haïssez, monsieur de Ponthus. Moi, je ne vous hais pas. Ou du moins, je ne vous hais plus. Je veux que vous mouriez en paix. J’ai supposé que peut-être vous auriez quelque volonté à exprimer avant d’aller à l’échafaud, que sais-je ? Quelque missive à faire parvenir à la noble fille du commandeur d’Ulloa. Je serai votre messager, monsieur, vous pouvez parler.
Loraydan étouffa un soupir de joie : il venait de surprendre sur le visage livide du prisonnier quelque chose comme un tic nerveux de la face, un frisson courant à fleur de peau.
Le prisonnier se taisait.
Longtemps, Loraydan demeura dans le cachot, silencieux, lui aussi. Peu à peu, sa soif se calmait, cette soif de vengeance qu’il était venu satisfaire. Jamais il n’avait été aussi pleinement heureux. Il en venait à éprouver un bizarre sentiment qui ressemblait non pas à de la pitié, car la pitié eût anéanti sa joie, mais à une sorte de hideuse reconnaissance pour le prisonnier. Il eût voulu le toucher, s’assurer amicalement que les chaînes étaient solides. Puis, lentement, une évolution se fit dans son esprit. Il songea que c’était un heureux jour, non seulement parce qu’il écrasait son ennemi, mais aussi à cause du mot de Brisard.
Il sourit, et, sans savoir, à haute voix, répéta :
– Allons, il est temps !…
– Il est temps ! répéta le prisonnier.
Loraydan bondit. Des insultes vinrent à ses lèvres. Quoi ? Que voulait dire ce misérable ? Quel temps ? Vaguement, il imagina que Ponthus était fou. Il supposa aussi qu’il voulait dire : le temps de la justice ! le temps du
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