Le Roi amoureux
jeune…
– Encore jeune ! Mot terrible, Loraydan. Mot qui me crie que passe encore pour aujourd’hui, mais que demain… Loraydan, tu es un pauvre courtisan.
Il rêva un moment, le regard vague, lissant d’un geste machinal les plis de son pourpoint de satin blanc, et puis il murmura :
– Cette jolie fille, Loraydan… cette merveilleuse fleur d’amour poussée dans l’ombre de ce vil usurier… cette adorable petite Bérengère…
Loraydan demeura impassible et souriant. Il connaissait maintenant les précautions prises par Turquand et que le logis du chemin de la Corderie était une imprenable forteresse. Mais son cœur se gonfla de fiel.
« Roi fourbe, gronda-t-il en lui-même, roi scélérat qui n’as laissé que honte et malheur partout où ton regard s’est appesanti, donne-moi la puissance que tu détiens, fais-moi au soleil de la Cour la part qu’il faut à la gloire de mon nom, et puis… »
– Que penses-tu, Loraydan ?
– Je pensais, Sire, qu’il n’est rien d’impossible au roi…
– Oui, mais entends bien que ce n’est pas le roi qui agit en cette circonstance… c’est l’amoureux, voilà tout. Au reste, ajouta François I er en riant, amoureux et roi se peuvent prêter main-forte.
– Sire, je ne comprends pas très bien… Loraydan était livide.
Il lui semblait que chacune des paroles de son roi était une flétrissure pour Bérengère. Et il ne songeait pas que lui-même…
– Tu vas comprendre, continua François I er . L’amoureux se heurte à des obstacles gênants. Logis bien gardé serviteurs incorruptibles, à part une certaine Médarde qui, à elle seule, est impuissante. Et puis, il y a l’usurier qui veille. Alors, intervient le roi. Suppose que des rapports de police aient appris au roi que l’usurier, le soi-disant ciseleur, se livre la nuit à des travaux étranges. Le roi soupçonne que le digne orfèvre se trouve être tout bonnement un faux monnayeur. Ah ! ah ! Tu frémis, mon brave Loraydan, tu commences à comprendre ?
– J’ai compris, Sire, dit Loraydan d’une voix calme. Le roi ordonne l’arrestation du faux monnayeur…
– Et de tous ses serviteurs qui sont sûrement ses complices. La maison est nette. La jolie Bérengère, toute seule, se lamente et pleure. Alors arrive l’amoureux qui la console, lui promet d’aller voir le roi, d’obtenir que l’usurier soit remis en liberté… que dis-tu de ce plan ?
Un frisson agita Loraydan de la tête aux pieds. Un soupir atroce gonfla sa poitrine. Il se disait :
« Si je fais un geste, si ma voix tremble, s’il peut lire dans mes yeux, je suis perdu. Courage, Loraydan ! Tiens-toi par l’enfer ! »
– Que pourrais-je en dire ? fit-il à haute voix (et sa parole ne tremblait pas, et son visage souriait). Il y a dans ce plan une habileté de conception qui me confond. Sa réussite est assurée…
– Oui, soupira le roi avec mélancolie. Tu dis bien : habileté. Autrefois, Loraydan, je n’avais pas besoin d’être habile. J’étais vainqueur par la seule force de l’amour. Mais puisqu’il le faut… sachons employer les moyens qui nous restent.
Et le roi, secouant la tête, éclata de rire.
– Va, Loraydan. Tu as huit jours pour achever ton mariage avec la belle Léonor. Songe à tes amours cependant que je songe aux miennes. Dans trois ou quatre jours, l’usurier sera arrêté, la trop jolie Bérengère sera à ma merci.
– Eh ! Sire, fit joyeusement Loraydan. Trois ou quatre jours ! Pourquoi attendre ? Pourquoi pas dès demain, dès ce soir ?…
– Affaire d’État, dit gravement François I er . La duchesse d’Étampes s’est querellée avec la grande sénéchale. Il faut que je les réconcilie, et ce n’est pas une mince besogne : je veux avoir l’esprit tranquille.
– Donc, fit Loraydan, tout épanoui, le digne usurier peut être assuré de trois jours encore de liberté ?
– Oui, dit François I er en riant. Et il les doit à M me Diane qui ne se doute guère du service qu’elle rend à ce faux monnayeur en m’obligeant à la surveiller pendant quelques jours. Va, mon ami, prépare ton voyage dans les Flandres, que tu devras entreprendre dès le lendemain de ton mariage.
– Oh ! Sire, dès le jour même !…
– Va… il est temps…
Loraydan tressaillit. Il regarda le roi. Mais le roi souriait. Il n’y avait aucune intention dans ce mot. Et d’ailleurs, comment le roi aurait-il su ?
Loraydan se retira,
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