Le Roi amoureux
vit d’un coup d’œil. Il se tourna vers les deux pèlerins qui venaient de s’adosser à la porte d’entrée :
– Eh bien ? Que faites-vous ? Conduisez-moi !
Au même instant, le Fossoyeur et Joli-Frisé, entrouvrant leurs souquenilles de pèlerins, tirèrent leurs dagues et crièrent :
– Croixmart ! Croixmart, à la rescousse !
– Trahison ! hurla Bel-Argent.
D’un bond, il fut sur les deux espions, arracha sa dague au Fossoyeur, et d’un geste de foudre, la lui planta en pleine poitrine. En même temps, Clother de Ponthus voulut s’élancer, il n’en eut pas le temps, il ne put même pas tirer sa rapière – son tronçon de rapière. Vingt poignes s’abattirent sur lui, le saisirent, l’agrippèrent, le paralysèrent, il fut renversé, écrasé sous le poids d’une dizaine de sbires silencieux, adroits, rapides, formidables. Quelques secondes à peine s’étaient écoulées depuis le moment de son entrée dans le vestibule, il était étendu sur le carreau, bâillonné, garrotté… c’était fini.
Clother ferma les yeux… le désespoir fondit sur lui.
Près du sire de Ponthus, Bel-Argent était étendu, pieds et poings liés, et se disait :
« C’est ici la fin de ma carrière. Mais j’ai pu servir l’un des deux pèlerins d’enfer, c’est une consolation. Oui. Mais l’autre s’en tire, le sacripant. Ce n’est donc que moitié de consolation… »
Les sbires maintenant se tenaient immobiles, et un grand silence régnait dans le vestibule. Ils étaient une trentaine. Au cri d’appel poussé par les deux espions, ils avaient surgi des trois portes à la fois, opérant avec une promptitude et une décision remarquables. Ce n’étaient pas des gardes, gens bavards et braillards qui eussent ameuté la rue… c’étaient des mouches… le redoutable essaim de mouches à la piqûre mortelle. Leur chef direct, Joli-Frisé, dans la matinée, avait été les chercher à la grande prévôté ; après un entretien rapide qu’il avait eu avec M. de Guitalens, gouverneur du Temple, Joli-Frisé avait posté ses hommes dans ce logis qui appartenait au gouverneur lui-même ; M. de Guitalens s’était estimé trop heureux de seconder le plan de l’espion, de prêter son logis transformé en traquenard, de coopérer activement à la capture du rebelle et de rendre ainsi à M. de Croixmart un service de haute importance. Or, un service rendu au grand prévôt, c’était la certitude d’un prompt avancement.
Lorsque tout fut terminé, donc, M. de Guitalens descendit nonchalamment l’escalier et écarta les sbires d’un geste de dégoût – non qu’il éprouvât quelque aversion contre leur affreux métier, comme on pourrait le croire, mais ils étaient mal vêtus, sordides, ignobles, ils empestaient le vin grossier, et il était, lui, un fort élégant gentilhomme. Il jeta un regard indifférent sur les deux prisonniers et dit :
– C’est bon. Qu’on les emporte au Temple. Et vite, allez-vous en, que je puisse faire aérer et purifier mon logis. Où est Joli-Frisé ?
Les sbires, avec la même rapidité silencieuse, se hâtèrent d’exécuter l’ordre : en un clin d’œil, le sire de Ponthus et Bel-Argent furent soulevés, enlevés, emportés. Et l’essaim des mouches se dispersa. Mais l’un des sbires avant de partir répondit à la question du gouverneur.
– Monseigneur, les rebelles ont frappé le Fossoyeur d’un coup de dague. Avant de mourir, il a eu des choses à dire à Joli-Frisé : les voilà tous les deux dans ce coin, l’un confessant l’autre…
Le Fossoyeur avait compris qu’il allait mourir… Joli-Frisé s’approcha aussitôt de lui.
– Quoi ? fit-il. Qu’est-ce qui te prend ?
– Ce qui m’ennuie, en quittant cette vie, c’est de savoir que les six cents pistoles que j’ai en mon logis vont être perdues, ou devenir la proie de quelque suppôt de truanderie.
– Six mille livres ! fit Joli-Frisé qui dressa l’oreille.
– Eh bien ! approche, que je t’indique ma cachette… approche… plus près… je ne puis plus… penche-toi… je trépasse…
– Dépêche-toi, de par tous les diables ! dit Joli-Frisé qui aussitôt se jeta à genoux près du blessé.
Il se pencha. Le Fossoyeur passa son bras gauche au cou de son camarade, et parvint à se soulever un peu.
– Parle, maintenant, fit avidement Joli-Frisé.
– Voici, dit le Fossoyeur. Je crèverais trop damné si je te laissais pour toi tout
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