Le Roi amoureux
châtiment ! Des pensées d’effroi l’assaillirent, il eut peur… il eut peur de Ponthus enchaîné… Mais il eut un petit rire sec ; et, en se retirant, il dit :
– C’est ce que nous allons voir !
Le cachot fut refermé. Loraydan remonta rapidement à la surface de la terre. En traversant la chambre des questions, il jeta un regard sur le chevalet de torture, et répéta : « Nous allons bien voir ! » Il sortit du Temple et regagna son hôtel.
Brisard le vit, s’approcha de lui ; pour la première fois, il osa lui parler sans être interrogé ; et la face balafrée d’un large sourire, convaincu qu’il allait faire pleuvoir des pistoles, tendant déjà la main, tout bonnement il dit :
– Monseigneur n’oublie pas qu’il est temps ?…
– Les étrivières ! hurla Loraydan. Les étrivières ! Et vite, vite, infâme drôle !…
Brisard, consterné, ahuri, ne comprenait plus, s’en fut chercher les étrivières toutes neuves, et, philosophiquement, murmura :
– Aujourd’hui ou demain… il fallait bien les étrenner !…
XXV
OÙ VAS-TU, DON JUAN ?
Ce fut par Jacquemin Corentin que don Juan apprit l’échaffourée de la rue de la Hache et l’arrestation du sire de Ponthus et de Bel-Argent dans le logis même de M. de Guitalens, gouverneur du Temple.
– Ce m’est un amer regret, dit Juan Tenorio, que de n’avoir pu assister le sire de Ponthus dans sa bataille contre les sbires du grand prévôt.
– Et, pourtant, vous l’eussiez tué en duel, si vous aviez pu.
– Certes, puisqu’il était un obstacle à mon bonheur. Mais je l’eusse tué en pleurant. Qui sait ce qu’on va faire de cet accompli gentilhomme ?
– Tout le monde dit qu’il aura la tête tranchée par la hache du bourreau parce qu’il y a eu rébellion patente, connivence avec la cour des Miracles et mort de plusieurs gardes…
– Eh quoi ! se pourrait-il que pour quelques alguazils, rebut de l’espèce humaine, on mette à mort le plus brave, le plus loyal, le plus généreux gentilhomme ? Ah ! pauvre sire de Ponthus, perle d’honneur, fleur de bravoure, je vous pleure de toute mon âme ! Mais, dis-moi, Jacquemin, n’est-il pas à propos que je profite de l’arrestation de Ponthus pour enlever à mon aise celle qui me tient tant au cœur ?
– Heu !… Vous pensez donc encore à la senora Léonor d’Ulloa ?
– Tu m’aideras, Jacquemin, tu m’aideras à faire une douce violence à celle que j’aime. Jacquemin, écoute. Je veux te dire un grand secret.
– À moi, monsieur ? Un secret ?
– Oui, Jacquemin, un beau secret…
– La femme est hypocrite, dit don Juan. Alors même qu’elle brûle de se rendre, elle attend qu’on lui fasse violence, car moyennant cette violence elle peut ensuite se justifier à ses propres yeux. Voilà tout le secret des batailles d’amour, fais-en ton profit.
– Eh quoi ! fit Corentin ahuri, c’est là ce grand secret ?
– Oui, Jacquemin. C’est pourquoi tu m’aideras. Tout cet appareil de gens armés, de litières, de chevaux, de truands, tout ce guet-apens imaginé par le comte de Loraydan me déplaisait fort. Il faut des formes raffinées à la violence. Loraydan a agi comme un reître. À nous deux, nous réussirons sûrement.
– Et en quoi consistera mon aide ? dit Corentin consterné.
– À m’attendre sur le chemin ou ici. Oui, au fait, il vaudra mieux que tu m’attendes ici. Ton aide n’en sera que plus précieuse.
– Je veux bien, monsieur. Mais comment ferez-vous ?
– Je n’en sais rien, et point ne veux le savoir. Foin de ces calculs compliqués, de ces savantes précautions qui, toujours, aboutissent à une déception ! Rassure-toi, Jacquemin, je réussirai. Je te préviendrai du jour où j’aurai décidé la chose.
– Ah ! monsieur, s’écria Jacquemin, dussiez-vous m’arracher la langue comme vous m’en avez quelquefois menacé, il faut que je parle. Un jour, monsieur, j’ai vu un misérable petit drôle ramasser de la boue pour la jeter à un cygne, un beau cygne d’une blancheur immaculée, qui approchait du bord. Il me semble, en ce moment, vous voir amasser de la boue pour flétrir cette pure blancheur de neige. Ne faites pas cela, monsieur ! À défaut de scrupule ou de remords, songez à ce que nous avons vu tous deux, vu de nos yeux dans la chapelle de l’hôtel d’Arronces. Craignez, craignez que le commandeur ne se lève de son tombeau pour défendre sa
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