Le roi d'août
n'était que partie remise : peu découragé, le squelette ne tarda pas à revenir le tourmenter, et Philippe n'avait plus à lui opposer que de pitoyables gémissements. Se tournant et se retournant sur sa couche, haletant, parfois animé de spasmes musculaires, il ne sentit pas qu'un médecin et le fidèle Aubri Clément, qui le veillaient, s'employaient à le nettoyer, à changer ses draps.
Il allait mourir. Alors qu'il n'avait pas, loin de là, achevé son œuvre. Alors qu'il ne s'était peut-être même pas gagné une âme, le droit au paradis. Quand il se rendormit enfin, ce fut d'un sommeil agité, troublé de cauchemars affreux où Richard lui tendait un gobelet empli de ciguë, où Saladin – un Arabe gigantesque, tout de rouge vêtu, aux moustaches et à la barbe flamboyantes – lui plantait dans le ventre son sabre courbe.
Où Lysamour lui labourait les entrailles de ses griffes.
Le lendemain, Philippe retrouva quelque temps assez de lucidité pour permettre aux médecins de l'examiner en détail, répondre à leurs questions sur ce qu'il éprouvait et assimiler leur diagnostic. Nul doute, selon eux, qu'il fut atteint de cette léonardie qui frappait déjà le roi d'Angleterre. Comme Richard, il souffrait du ventre, il vomissait, il était en proie à une fièvre qui se traduisait par frissons et suées abondantes. Comme Richard, il avait la bouche pâteuse, une terrible soif de tous les instants. Contrairement à Richard, toutefois, et ce fut ce qui l'effraya le plus lorsqu'on le lui apprit, il avait la langue chargée, couverte d'une espèce d'enduit épais, d'un blanc sale. Ne pouvait-ce être le symptôme d'un empoisonnement ? se demanda à voix haute un des honorables disciples de Galien, sans se douter qu'il armait d'une nouvelle faux le squelette présidant aux délires de son roi.
Empoisonné. Etait-ce si absurde, après tout ? Philippe ne manquait pas d'ennemis. En outre, n'avait-il pas vu en songe son rival le forcer à absorber une boisson mortelle ? Les rêves n'étaient-ils pas envoyés par Dieu ? Toute sa raison le poussait à douter de cette hypothèse : Richard, s'il avait voulu sa mort, l'eût provoqué en duel, l'eût à la limite poignardé dans un accès de colère, mais on ne l'imaginait pas se servant d'un moyen aussi détourné. Le poison était l'arme des lâches, or on pouvait accuser le Plantagenêt de bien des choses, mais pas de lâcheté. Cependant, il n'était pas seul : d'autres avaient pu agir à sa place en croyant lui complaire ou pour leur propre compte. Gui de Lusignan, par exemple, presque assuré de retrouver son trône si le roi de France cessait de soutenir Montferrat. Saladin, aussi : le sultan devait bien savoir que les chances des Francs seraient terriblement diminuées s'ils perdaient leur chef le plus habile. On le disait chevaleresque mais n'étaient-ce pas que vulgaires racontars ? D'un homme qui ne respectait pas la loi de l'Église, on pouvait s'attendre à tout.
Si c'est une simple maladie, je dois être capable de la guérir, se dit Philippe juste avant de connaître une nouvelle période d'inconscience, marquée par une agitation de plus en plus forte. Dans l'étroite cellule aux murs noirs qu'était son esprit, il bondissait de droite et de gauche pour éviter la lame aiguisée brandie par une mort au sinistre sourire. Maniée avec une incroyable habileté, cependant, la faux lui perforait l'abdomen, lui cisaillait la langue, se plantait en mille et un endroits de son corps, lui arrachant chaque fois ce qu'il croyait être un hurlement et n'était en fait qu'une plainte péniblement chassée entre ses lèvres sèches, collées.
Vers le soir, revenu à lui, il tenta de mettre en pratique sa dernière idée. Ce fut en vain : la fièvre, qui lui rendait la concentration malaisée, l'empêcha par deux fois de faire appel à ses pouvoirs ; la troisième, il lui sembla bien mettre en œuvre la force surnaturelle qui résidait en lui mais elle n'eut pas le moindre effet. Cela signifiait-il qu'il était bel et bien empoisonné ou que, simplement, guérir la léonardie se révélait au-delà de ses possibilités ? Pour le savoir, il eût fallu tenter l'expérience sur quelqu'un d'autre ; or, quand Richard était tombé malade, Philippe avait décidé de laisser parler la volonté de Dieu. Il se reprochait à présent, aux portes de la mort, ce péché par omission qui lui serait compté comme tous les autres. En eût-il été capable qu'il
Weitere Kostenlose Bücher