Le roi d'août
qu'il en fût, c'était le résultat des manœuvres de la reine mère ; Aliénor désirait marier son fils mais pas à une princesse de France. Elle devait d'ailleurs escorter en personne la fiancée à Messine, après s'être chargée de toutes les tractations auprès du roi Sanche de Navarre.
Le jour même où on annonçait son arrivée, Philippe quittait le port sicilien avec ses navires et faisait voile vers Acre. Bien que la promesse rompue lui eût valu quelques compensations monétaires et territoriales, il ne tenait pas à rencontrer Aliénor et Bérengère, ni à cautionner le mariage par sa présence. En outre, plus que jamais persuadé qu'il y aurait guerre entre France et Angleterre sitôt l'expédition outremer achevée, il désirait tout mettre en œuvre pour rentrer chez lui au plus vite.
Une autre raison le poussait à ne pas s'attarder en Palestine : au début de juin, son parrain Philippe d'Alsace avait succombé à une des épidémies qui ravageaient le camp. Une fin bien peu glorieuse pour ce superbe chevalier, un temps second personnage du royaume de France. La succession de Flandre posait un problème de la plus haute importance : déjà, Philippe avait envoyé des lettres à ses proches et aux nobles concernés, afin que l'annexion au royaume de France de l'Artois et des portions du Vermandois qui constituaient la dot d'Isabelle de Hainaut fût réalisée dans les meilleurs délais. Pour le reste, sa présence serait nécessaire, au moins pour arbitrer le conflit entre les divers prétendants à l'héritage du comte.
Richard, lui, malgré son ardeur guerrière et la piété qu'il affichait, ne semblait pas aussi pressé de frustrer Saladin de ses conquêtes. En chemin, il avait pris le temps de se marier et de conquérir Chypre, possession de l'empereur byzantin, Isaac l'Ange. À la suite d'une tempête, plusieurs vaisseaux anglais s'étaient échoués sur les côtes de l'île : Isaac s'en était approprié la cargaison et avait pris en otages les passagers afin d'en tirer rançon. Comme toujours impulsif, mais d'une indéniable efficacité, Richard avait mené une campagne éclair contre l'île, dont il s'était aisément rendu maître. Au bout du compte, c'était à lui qu'il avait fallu payer rançon.
Philippe grinça des dents en se rappelant de quelle manière on l'avait reçu lorsqu'il avait demandé pour lui-même la moitié de cette conquête, les deux rois s'étant juré avant de quitter l'Europe de partager tout ce que leur rapporterait l'expédition. Richard avait opposé un refus net et définitif : Chypre avait été prise par lui seul, cet accord ne la concernait pas ; il accepterait toutefois volontiers d'en céder la moitié s'il obtenait en retour la moitié de ce que rapportait à la France la mort du comte de Flandre.
Philippe, comprenant qu'il n'obtiendrait pas gain de cause, avait abandonné ses prétentions dans l'intérêt de l'entente. Tout cela était après tout de bonne guerre : il n'en avait attendu ni plus ni moins du Plantagenêt.
Ce qui l'exaspérait le plus, ce qu'il ne pardonnerait sans doute jamais à Richard, c'était d'avoir, par pure gloriole, voulu le priver de ses meilleurs hommes afin de s'attribuer tout le mérite des victoires. Prodigue, offrant toujours plus d'argent qu'un roi de France soucieux de ses deniers, le roi d'Angleterre avait réussi à débaucher nombre de chevaliers qui se vendaient sans scrupule au plus offrant. Il se posait ainsi en chef suprême de l'expédition, reléguant dans l'ombre celui qui était pourtant censé être son égal.
Philippe se moquait de la gloire mais l'intention le blessait. Depuis qu'il l'avait vu faire baisser par miracle les eaux de la Huisne, Richard n'avait de cesse que de le rapetisser, de minimiser ses mérites.
Un jour, il s'en repentirait. C'était là une promesse solennelle que le Capétien se faisait à lui-même, et ces promesses-là, il les tenait toujours.
Le soir tombait. Un peu apaisé mais incapable de dormir, Philippe se décida à ressortir faire quelques pas dans le camp. Ce dernier, véritable ville par la taille, n'était qu'un assemblage de tentes montées sans souci d'ordre, des grands pavillons abritant les nobles aux abris plus modestes des soldats et des civils. Là, se coudoyaient Français, Anglais, Italiens, Danois, Germains… des dizaines de milliers d'hommes et de femmes, tous ceux qui, rassemblés par une même cause, portaient ici le nom collectif de Francs mais
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