Le roi d'août
les principaux symptômes de son mal. La rémission se produisit juste après une de ses opiniâtres tentatives pour se guérir, ce dont il déduisit qu'il avait eu raison de persister. Sans doute, la léonardie était trop puissante pour qu'il la vainquît du premier coup, mais ses efforts réitérés avaient porté fruit, tout comme de régulières infusions de thym finissaient par guérir les pires maux de gorge.
Depuis quelque temps, Philippe découvrait les limites de ses pouvoirs. Ne s'était-il pas rendu compte durant son long voyage qu'il n'avait pas la moindre affinité avec l'eau de mer ? Il n'en voulait pour preuve que les malaises persistants subis à la moindre houle. Peut-être eût-il dû insister, là aussi, prendre le temps de convaincre l'eau salée qu'elle n'était que de l'eau et devait en conséquence lui obéir. Il le ferait un jour, s'il en avait l'occasion.
Pour l'heure, l'important était qu'il allât mieux. Et puisque le Plantagenêt, quoique moins atteint, était encore fébrile, il devait bien conclure que la miséricorde divine n'était pas seule responsable de sa guérison. Il avait eu si peur de mourir que, pour la première fois de sa vie, il fut heureux de ne pas être simplement humain et osa même en remercier le ciel – ce dont il se repentit d'ailleurs aussitôt.
On ne pouvait le dire tout à fait tiré d'affaire : il conservait le visage blafard, les jambes faibles au point de ne pouvoir se tenir debout, et ses troubles intestinaux n'avaient pas cessé. En outre, il demeurait très nerveux, ce qui ne se traduisait plus par une agitation effrénée mais par de simples crispations du visage – tics qui, parfois, le défiguraient. Il estimait malgré tout ne pas avoir à se plaindre : il était chauve, il était borgne, mais il était vivant.
Le premier visiteur qu'il reçut après la chute de la fièvre hâta son rétablissement : Conrad de Montferrat, touché par ses mots, était revenu participer au siège d'Acre. Philippe voulut y voir un bon présage.
Au bout de deux jours, ses forces lui étaient assez revenues pour qu'il marchât sans assistance, bien qu'il se fatiguât vite. Le soir, aiguillonné par un appétit de vivre renouvelé et une abstinence de plusieurs mois, il réclama une femme. Malgré prêtres et médecins qui se récriaient en chœur pour des raisons variées, on lui amena la putain la plus belle et la moins sale qu'on trouva, une jeune Flamande aux formes pleines. Quoique troublée par l'aspect de ce royal client, elle s'allongea de bonne grâce, professionnelle qui en avait vu d'autres, et Philippe la besogna sans état d'âme, uniquement soucieux de prendre son plaisir, de se sentir vivant. Quand il éjacula avec délices dans ce corps consentant, quasi inerte, il eut enfin la certitude d'avoir vaincu la mort.
« […] il [Philippe] perdit les ongles des mains et des pieds, les
cheveux et presque toute la surface de sa peau. »
Guillaume le Breton, Chronique en Prose
2
Dès l'aube du lendemain, premier jour de juillet, Philippe se fit préparer un bain chaud dans lequel il se trempa longuement afin de se débarrasser des miasmes de la maladie. Ensuite, il se vêtit, contre l'avis des médecins qui désiraient lui voir garder la chambre, leur accordant comme unique concession de ne pas encore enfiler le haubert et ceindre l'épée. En retrouvant l'air étouffant de Palestine, un soleil déjà ardent malgré l'heure matinale, il résolut une fois pour toutes de regagner la France à la première occasion : ce pays-là, décidément, n'était pas pour lui.
Accompagné de quelques chevaliers, sur lesquels il mettait un point d'honneur à ne pas s'appuyer, il entreprit de déambuler dans le quartier français, soucieux de se montrer valide afin de remonter le moral des troupes. Les vivats qui l'accueillirent lui prouvèrent qu'il avait eu raison. Bien sûr, il y eut sur son passage des regards étonnés, voire horrifiés, des murmures compatissants ou cruels, mais dans l'ensemble, ses soldats paraissaient enchantés de son retour parmi les vivants. Philippe, ni publiquement ni en privé, ne s'était jamais glorifié d'être beau. Pourtant, ce matin-là, quand il s'était regardé dans un miroir, après le bain, peinant à se reconnaître, il avait éprouvé un pincement au cœur : l'adolescent si séduisant dont Isabelle de Hainaut était tombée amoureuse au premier regard, l'homme mûr qui avait inspiré un tendre sentiment à Jeanne
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