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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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s'étaient cependant organisés par quartiers, en fonction de la langue qu'ils parlaient ou du suzerain qu'ils servaient. Chacun de ces quartiers possédait ses échoppes où officiaient armuriers, maréchaux-ferrants, changeurs, taverniers, bouchers, boulangers, ses filles follieuses qui, sans même se cacher, proposaient leurs charmes à qui avait les moyens et l'envie de se les offrir. Chacun possédait ses propres écuries, où piaffaient les chevaux arrivés de fraîche date avec les deux rois et ceux, parmi les plus anciens, qui avaient eu la chance de ne pas être mangés durant les disettes. L'ensemble formait un étrange capharnaüm, plus peuplé et plus bruyant qu'un souk, où se mêlaient à la puanteur ambiante les parfums de mille cuisines différentes, où l'on riait, où l'on pleurait, où l'on s'apostrophait en toutes les langues de la Terre.
    À peu près au centre, non loin du quartier français, un vaste espace dégagé accueillait le chantier où charpentiers et ingénieurs avaient déjà entrepris la construction de nouvelles pierrières, de nouveaux béliers… Philippe le longea sans le regarder, refusant de s’appesantir sur les pertes matérielles de l'après-midi. Il lui tardait de contempler un visage ami, de s'entretenir avec un vieux compagnon d'armes dont la sagesse lui permettrait de combattre le désespoir, le défaitisme qui couvaient en lui. Pour cette raison, il gagna la tente de Raoul de Clermont, désormais seul survivant ou presque parmi les nobles l'ayant aidé à consolider son pouvoir durant ses premières années de règne. Il le trouva en compagnie d'Aubri Clément et de Conrad de Montferrat. Tous trois discutaient avec animation en partageant un cochon de lait rôti et force coupes de vin capiteux. Après l'arrivée de Philippe et de Richard à Acre, les marchands censés ravitailler le camp n'avaient plus osé thésauriser les denrées, si bien que les Croisés mangeaient désormais à leur faim – ce qui, en dépit du reste, leur rendait une partie de leur optimisme et de leur combativité.
    D'abord contrarié de ne pas trouver le connétable seul, le roi se rendit compte qu'exposer ses inquiétudes à des gens qui les partageaient serait le meilleur remède à son angoisse. Il constata également qu'il avait faim et que l'idée de se griser un peu ne lui déplaisait pas, surtout en compagnie de ces trois-là, aussi joyeux compagnons qu'hommes de valeur. En Conrad de Montferrat, que deux mois plus tôt il n'avait encore jamais rencontré, il reconnaissait un esprit cousin du sien, peu soucieux de paraître, concentré sur la tâche fixée.
    Débarqué à Acre en pleine controverse de succession, Philippe s'était empressé de prendre le parti du seigneur de Tyr contre l'incapable Lusignan. Ce dernier, mortifié, n'avait rien eu de plus pressé que de voguer vers Chypre pour se plaindre à Richard, dont il était le vassal en Poitou. Et Richard, bien sûr, l'avait assuré qu'il ferait tout son possible afin de le confirmer dans ses droits au trône. Un simple paysan eût-il voulu s'opposer au candidat du roi de France que celui d'Angleterre eût soutenu le paysan…
    Les quatre hommes levèrent leur coupe à la victoire prochaine contre Saladin, dont aucun ne doutait – ou ne se fût permis de douter en public.
    — Quand vous êtes entré, sire, déclara le jeune maréchal Clément lorsque le roi se fut taillé une portion de cochon de lait et eut entrepris de la dévorer à belles dents, nous parlions de notre fameux informateur. Savez-vous qu'il nous a encore dépêché un message ?
    Philippe l'ignorait. L'informateur en question représentait un mystère qui faisait user bien de la salive aux croisés : résidant à Acre, échappant on ne savait comment à la vigilance des défenseurs, il parvenait régulièrement à tirer depuis les remparts une flèche assortie d'une lettre dans laquelle il rendait compte de l'état de la garnison, de ses projets. L'inconnu signait d'un simple G. Il s'agissait à l'évidence d'un Chrétien, car ses messages commençaient invariablement par « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit… » et Philippe doutait qu'un Infidèle, même par duplicité, eût ainsi couché sur le papier ce qui était pour tout Musulman un blasphème : la Sainte Trinité. Les informations obtenues avaient permis à plusieurs reprises d'empêcher le ravitaillement de la ville. Sans doute connaîtrait-on l'identité de cet étrange allié

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