Le roi d'août
l'exigez…
— J'ai votre parole que vos efforts seront réels ?
— Vous l'avez ! conclut le roi, bourru, en tournant le dos à son compagnon.
— Vous avez donc aussi la mienne, déclara Guillaume en se levant bien plus légèrement qu'il ne s'était assis. Selon vos ordres, la reine sera ce soir à l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés. Dois-je lui annoncer votre visite ?
— Pas aujourd'hui ! Je suis encore bouleversé et je manque cruellement de sommeil. (Philippe se retourna vers son oncle.) Si vous désirez que mes efforts conservent quelque chance d'aboutir, je dois me calmer et passer une bonne nuit. J'irai demain. Ou après-demain. Peut-être le jour suivant.
— Vous irez lorsque votre disposition et les affaires de l'État vous le permettront, sire, cela va de soi. Mais plus tôt vous irez, plus tôt nous serons fixés.
— Et plus tôt nous pourrons régler cette affaire, vous avez raison. Demain, nous rentrons à Paris. Faites dire à madame Isambour que je passerai la voir après-demain. Qu'elle ne se mette pas en frais de toilette : je n'aurai nulle envie de perdre mon temps à la dévêtir.
Un soleil de plomb frappait presque à la verticale les vieux murs gris. L'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés, à quelques lieues de Paris, abritait souvent dans son hôtellerie des invités royaux. C'était là qu'on avait conduit Isambour, en donnant aux religieuses l'ordre de la traiter selon son rang. Ce fut devant ses portes que se présenta Philippe vers la midi, seulement accompagné de l'archevêque, de l'abbé d'Aebelholt et de l'évêque Étienne de Tournai, un protégé de Guillaume aux Blanches Mains, que ce dernier avait tenu à emmener.
L'atmosphère était à la gêne. Tous savaient pourquoi ils se trouvaient là, et jamais l'abbaye n'avait été le théâtre de pareil événement. À l'esprit des trois respectables hommes d'église, la comparaison ne vint pas, mais Philippe songea que les vieux bâtiments, du coup, prenaient une allure de bordeau ; pour un peu, il eût cherché des lueurs lubriques dans le regard des nonnes.
— Nous vous attendrons, sire, déclara l'archevêque quand on leur eut ouvert. Ce sera pour nous l'occasion de présenter nos respects à la mère abbesse.
Le roi hocha sèchement la tête et se dirigea vers l'hôtellerie, sur le côté de la cour intérieure.
— Avec votre permission, monseigneur, je vais rester ici, à marcher sous le cloître et à prier pour madame Isambour, déclara l'abbé d'Aebelholt.
Tandis que ses deux compagnons le laissaient pour pénétrer dans les locaux de l'abbaye, il gagna la galerie bordée d'arcades qui s'étendait tout autour de la cour et commença d'y déambuler à pas lents, une patenôtre entre ses mains tordues par l'âge. Plus que quiconque, peut-être, il souhaitait le succès du roi. Pour n'avoir pas œuvré en vain, bien sûr, mais aussi et surtout parce qu'il aimait sincèrement la jeune reine et désirait la voir heureuse. Il priait avec intensité, au point de ne pas voir les religieuses qui, de temps à autre, le croisaient. Si Dieu ne l'écoutait pas, il ne pourrait éviter de l'entendre.
Au foyer de l'hôtellerie, Philippe trouva deux des suivantes danoises de son épouse que cette dernière avait chassées pour demeurer seule. Il les laissa le conduire à la chambre – la plus belle, celle des hôtes de marque –, puis il les congédia.
La pièce était inondée de lumière. Voilà pourquoi il avait choisi de venir en pleine journée : il était bien plus difficile de croire aux maléfices sous un soleil radieux que dans l'ombre de la nuit.
Un lit à baldaquin orné de tentures colorées occupait le fond de la chambre, moins impressionnant que celui d'Amiens mais tout de même fort large. Contre un mur, s'alignaient les malles de la reine, dévoilant leurs entrailles d'étoffe. Sur la coiffeuse ciselée reposaient un bassin et une éponge, un petit miroir à main…
Isambour, quand la porte s'ouvrit, regardait par une fenêtre donnant sur la ville. Sa main caressait machinalement l'appui de pierre taillée. Elle se retourna vivement, reconnut son visiteur et poussa un petit cri d'effroi, porta la main à sa poitrine. Aussitôt, cependant, elle se reprit : composant son expression, elle laissa retomber son bras à son côté, fit un pas vers l'arrivant… puis se figea, le cœur battant, incapable d'aller plus loin.
Philippe, depuis qu'il s'était éveillé au matin, s'efforçait de
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