Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
Vom Netzwerk:
pouvait faire semblant de croire que ce n'était pas elle, que c'était une vraie femme ; puisqu'elle était sans défense, il pouvait même fermer les paupières et songer à une autre, par exemple à Isabelle.
    Isabelle qu'il avait parfois bien mal traitée mais qu'il n'avait jamais soumise à une humiliation aussi vive. Il se rappela ses scrupules de la nuit de noces, sa ferme intention de ne pas provoquer un nouveau martyre. Belle réussite.
    Encore une fois, il chassa les remords qui voulaient l'envahir : il n'avait pas d'autre solution ; c'était ce que voulait l'archevêque, ce que voulait Dieu… Lentement, il ôta ses braies et monta sur le lit. Isambour ne put retenir un gémissement de crainte ni s'empêcher de se contracter lorsqu'il la toucha.
    Il eût voulu la prendre sans douceur, en égoïste, comme la prostituée possédée en Terre Sainte au grand dam de ses clercs. Mais pour cela, il lui eût fallu en être capable et tel n'était pas le cas. Il avait beau fermer les yeux et parcourir à tâtons des appas dont il s'efforçait de se convaincre qu'ils appartenaient à une autre, il avait beau faire défiler des images d'orgie sur ses paupières closes, son sexe restait obstinément flasque. Quelque temps, il essaya d'en tirer une réaction en le manipulant, mais le résultat qu'il obtint demeura insuffisant. Isambour, quant à elle, ne s'abandonnait pas à ses caresses comme la première fois : terrifiée, elle n'était pas plus prête que son époux à la consommation du mariage. L'eût-il été, lui, qu'il l'eût pénétrée tout de même, en force, sans se soucier de lui faire mal, uniquement pour tenir sa promesse devant Dieu. Savoir qu'il ne l'eût pas épargnée ne lui inspirait aucune fierté.
    Il ouvrit les yeux, soucieux de mettre un terme à cette inutile tentative – et il vit sa femme.
    Pas une autre, juste une petite princesse danoise qui, pour son malheur, n'était pas ce qu'elle croyait être. Une petite princesse qui se retrouvait dans une position digne d'une fille follieuse de bas étage, soumise aux attouchements brutaux d'un mari indigne. Qui frissonnait de terreur, qui n'avait plus la force de retenir ses pleurs.
    C'était une abomination.
    Une nouvelle fois, la honte se fraya un chemin en Philippe ; puisqu'il ne fit rien pour la repousser, elle le submergea. Ce fut avec des gestes lents, machinaux, qu'il se rhabilla, la tête basse. Lorsqu'il eut rebouclé sa ceinture, il s'approcha d'Isambour et lui ôta son bandeau. Elle le contempla avec des yeux aussi surpris que désemparés, noyés de larmes, des yeux d'un bleu très clair, parfaitement normaux.
    — Je te prie de me pardonner ceci, dit-il en latin. Je suis désolé.
    Puis il tourna les talons et se prépara à appeler les suivantes pour qu'elles vinssent délivrer leur maîtresse.
    — Je te pardonnerai toujours tout, déclara la reine comme il sortait.
    Il feignit de n'avoir rien entendu.
    Plus tard, il trouva le moyen de justifier sa défaillance et même d'en tirer quelque fierté. En lui, le sang maudit était dilué depuis plusieurs générations. Il l'était encore plus dans les veines du prince Louis et le serait de plus en plus chez ses descendants. Engrosser une femme de la race diabolique, c'eût été le réinjecter en force dans la lignée pour peu que Louis succombât et qu'un de ses demi-frères potentiels ceignît la couronne. Voilà ce que Philippe avait su, sans y songer en ces termes sur le moment ; voilà pourquoi il n'avait pu honorer Isambour en dépit de sa détermination. Dieu, en le condamnant à l'impuissance, l'avait empêché de commettre l'irréparable.
    Il se le répéta si souvent qu'il finit par le croire. N'était-ce pas plus concevable que d'admettre qu'il avait eu pitié de l'être diabolique ? N'était-ce pas plus agréable que d'admettre qu'il en avait eu peur ?
    Ce fut au début de novembre que se réunit la cour de justice devant statuer sur le mariage de Philippe et d'Isambour. Durant les semaines précédentes, une cohorte de clercs dirigée par Guillaume aux Blanches Mains s'était penchée sur la généalogie des deux époux, cherchant une raison valable d'annuler leur union. À force de chercher, bien entendu, elle avait fini par trouver.
    L'assemblée se déroula dans une grande salle du château de Compiègne qu'une triste journée humide enveloppait d'une pénombre à l'épreuve des chandelles. On s'entendait, on se parlait, mais on se voyait à peine. Le feu

Weitere Kostenlose Bücher