Le roi d'août
demeurer calme et de songer le moins possible à ce qui l'attendait. L'idée de duper son oncle l'avait traversé : il lui eût suffi de demeurer auprès de son épouse assez longtemps pour donner le change et d'affirmer ensuite n'être arrivé à rien. Le prélat n'eût eu d'autre choix que de le croire. Sans doute avait-il une telle confiance en la probité royale que l'idée d'une ruse ne l'effleurerait même pas. Pour cette raison, précisément, le roi était décidé à ne pas tricher. Pour cette raison, et aussi parce qu'on pouvait mentir à un archevêque mais pas à Dieu, qui voyait tout et qui jugeait.
Dès qu'il se trouva en présence d'Isambour, ses bonnes résolutions commencèrent à s'évanouir, battues en brèche par la crainte et le dégoût. S'obligeant à respirer lentement, profondément, il tenta de se dire qu'elle n'était qu'une femme, d'une autre race mais une femme malgré tout, qu'elle ne pouvait lui nuire. Sans doute possédait-elle des pouvoirs, tel celui de guérison, et peut-être d'autres plus sinistres, mais puisqu'elle ignorait sa propre nature, elle ne les avait jamais utilisés. Faire l'amour avec elle ne le détruirait pas. Tout se passerait bien.
Il avait beau se le répéter, au fond de lui-même, il n'y croyait guère.
Isambour, il devait à nouveau le reconnaître, était fort belle. Comme il l'avait expressément demandé, elle n'était vêtue que d'une chemise de lin qui, presque transparente à la lumière, ne laissait rien ignorer de sa silhouette, dessinait les rondeurs de ses seins, le renflement de ses cuisses et celui, léger, de son pubis. Ses cheveux dénoués tombaient en vagues dorées jusqu'à ses reins. À en juger par sa poitrine palpitante, par son souffle oppressé, elle avait peur, ne savait trop si le roi allait la violer, la battre ou la tuer. Elle ne tremblait pas devant lui, elle avait la bravoure d'en affronter le regard, mais tout son visage et tout son corps hurlaient sa terreur.
Ils formaient de bien curieux époux, se dit Philippe, à se redouter l'un l'autre, à ne pas oser se toucher. Isambour était belle, oui, mais elle ne lui inspirait aucun désir.
Il n'en commença pas moins à se déshabiller, ôtant d'abord son chaperon puis dégrafant sa ceinture. Avec des gestes fébriles, il fit passer par-dessus sa tête son bliaud, sa robe et sa chemise, ne conservant que ses braies.
La reine, à cette vue, se détendit un peu : la raison de sa visite paraissait évidente. Ravie qu'il fût revenu à de meilleures dispositions, elle se risqua à lui sourire. Elle qui était la pudeur même, elle dénoua la cordelette fermant le haut de sa chemise et laissa choir le vêtement à terre. Quand elle apparut aussi nue qu'au jour de sa naissance, elle se rendît compte que, devant son mari, elle n'en était pas gênée.
Cette amorce de sérénité n'échappa pas à Philippe. Loin de lui conférer de l'assurance, toutefois, elle lui fit peur. Quand la chemise d'Isambour tomba, il vit s'ouvrir la cape de Lysamour. Il revit leurs yeux à toutes les deux, dans l'extase.
La reine, comme il ne bougeait toujours pas, fit un nouveau pas vers lui, puis un autre. Ses yeux ! Le blanc n'en était-il pas déjà légèrement bleuté, comme si le simple fait d'être nue, de s'offrir, avait déclenché en elle le processus ? Le phénomène, simple manifestation du désir, au même titre que l'érection des mamelons ou l'accélération du souffle, n'avait en vérité rien de spectaculaire. Objectivement, il était assez joli, et devait contribuer à l'excitation d'un partenaire de la même race – de pure race : dès l'âge de quatorze ans, Philippe avait constaté que ses propres yeux ne subissaient aucune transformation dans ces moments-là. Pourtant il le terrifiait. S'il devait l'observer encore une fois, il lui semblait qu'il basculerait pour de bon dans la folie.
Isambour avança encore, timide. Philippe croyait revivre la fin de leur nuit de noces, juste avant le moment où il avait failli la tuer. Cette fois, il ne voulait pas reculer. Il ne pouvait pas non plus demeurer en place, faute de quoi sa femme finirait par le toucher et, au contact de ses mains inhumaines, il ignorait de quoi il serait capable. Cette impasse raviva sa colère. Les dents serrées, bouillant soudain d'une énergie violente qui cherchait un exutoire, il s'imagina en train de frapper la jeune Danoise, se rendit compte que cette perspective l'enchantait et, dégoûté de lui-même,
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