Le roi d'août
s'enfuit sans avoir prononcé un mot.
Il demeura adossé contre la porte, haletant, furieux de sa lâcheté et des sentiments que la reine faisait naître en lui. Pouvait-il à présent aller trouver son oncle et lui annoncer son échec ? S'était-il assez efforcé de réussir ? Dieu ne lui en voudrait-il pas d'avoir abandonné au premier frisson ?
Cette indécision ne fit que renforcer son ire.
— D'Aebelholt ! hurla-t-il à pleins poumons.
Alors que l'appel retentissait encore dans les paisibles couloirs de l'abbaye, il s'élança vers la cour intérieure, trop obsédé par son problème pour s'aviser qu'un homme en braies, fût-il le roi, n'avait pas sa place dans un couvent. Sur son passage retentirent de petits cris d'horreur et des bruits de fuites affolées auxquels il ne prêta aucune attention. Il avait peur de voir les yeux d'Isambour ? Il avait peur de la laisser le toucher ? Très bien ! On pouvait s'arranger pour que cela ne se produisît pas.
— Mon Dieu, sire, couvrez-vous ! s'exclama le brave abbé en le voyant débouler dans le cloître. Songez au lieu que vous…
Philippe lui coupa la parole, impatient. Tout en l'entraînant à sa suite vers le foyer, il lui communiqua les instructions qu'il souhaitait l'entendre donner aux suivantes danoises.
— Mais vous n'y songez pas ? se récria Guillaume d'Aebelholt en pâlissant. Ce serait une indignité ! Madame Isambour n'a pas mérité cela !
— Vous ignorez tout de ses mérites, renvoya le roi, plus familier qu'il ne l'était d'ordinaire avec les gens d'Église. Contentez-vous d'exécuter mes ordres et dispensez-moi de vos commentaires.
— Ma conscience me l'interdit, sire, persista l'abbé. Du moins sans en avoir référé auparavant à la reine et lui avoir demandé sa permission.
Philippe, sur le point de répliquer avec verdeur, finit par se calmer un peu, impressionné par l'audace de ce vieillard qui lui résistait.
— Eh bien, allez-y, puisqu'il le faut ! capitula-t-il, radouci. Je vous préviens néanmoins que si elle refuse, je saurai me passer de vous pour arriver à mes fins.
Et il ose la traiter de démon ! songea Guillaume en se dirigeant vers la chambre d'Isambour.
Il en ressortit presque aussitôt, à la fois stupéfié et attristé.
— La reine ne m'a pas laissé lui expliquer ce que vous désiriez, dit-il sèchement. Elle m'a déclaré que je devais vous obéir sans hésiter. Vous avez là une femme exceptionnelle, sire, je vous conjure de vous en rendre compte.
Il tourna les talons et, la mort dans l'âme, l'embarras au cœur, alla expliquer aux suivantes ce qu'on attendait d'elles. Lorsqu'elles furent à leur tour ressorties de la chambre, l'air horrifié, contemplant Philippe à la dérobée avec une crainte qui eût été mépris pour un homme de moindre pouvoir, elles filèrent sans demander leur reste.
— Dieu vous jugera… déclara simplement l'abbé d'Aebelholt, avant de leur emboîter le pas.
— C'est bien pour cela… souffla le roi, trop bas pour être entendu.
Sa colère était tombée aussi vite qu'elle avait monté, comme c'était si souvent le cas. À présent, il ne ressentait plus que de la peur. Peur de ne pas réussir. Ou de réussir, il ne savait trop. Il prit une inspiration profonde, qu'il relâcha lentement, conscient de son cœur qui battait trop vite, des tics qui ravageaient son visage. Isambour, à tout le moins, échapperait à ce spectacle de cauchemar.
Ce fut cette pensée qui le décida à entrer dans la chambre.
La reine était allongée sur le lit, nue, bras et jambes écartés, la tête légèrement surélevée par des oreillers. Un épais bandeau noir lui ceignait le crâne, l'aveuglant. Des écharpes en soie d'Orient, parées de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, reliaient ses poignets et ses chevilles aux montants du lit.
À la lueur de chandelles, au fond d'une crypte, le spectacle eût été décadent, horrifique. Au grand jour, il n'était que navrant.
Philippe fit la grimace. Repoussant la honte qui tentait de s'insinuer en lui, il s'approcha de la couche où l'attendait Isambour, impuissante, parcourue de frissons d'angoisse. Elle se mordit les lèvres lorsqu'il resserra d'un coup sec chacun des nœuds lâches exécutés par les suivantes.
À présent, c'était sûr : elle n'ouvrirait pas les yeux et elle ne bougerait pas, elle ne présentait plus le moindre danger. Puisque le bandeau lui mangeait la moitié du visage, son compagnon
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