Le roi d'août
pour assurer la mienne. Et tu sais ce qui me donne le plus de plaisir ? L'enfant que m'a fait Hugues est devenu chrétien ; celui que tu vas me faire n'entrera jamais dans une église, sinon pour compisser les hosties et forniquer sur l'autel.
Sur cette dernière saillie, elle se tut, comme à bout de souffle. Philippe priait toujours mais la mort, semblait-il, répugnait à le prendre.
— Allons ! dit enfin Lysamour. Il est temps. Ne résiste pas, petit prince. Tu connaîtras au moins un peu de jouissance avant de rejoindre tes tristes ancêtres.
Lorsqu'elle s'allongea sur lui, le garçon serra les dents pour ne pas hurler. Cette peau si douce, contre la sienne, lui faisait l'effet d'une pierre ponce. Les baisers dont on couvrit son visage et sa poitrine, puis son ventre, lui parurent autant de marques au fer rouge. L'impudique odalisque eut beau se démener, en appeler à toutes les ressources de son art, il demeura impuissant. À cet instant, la plus belle femme du monde eût pu se livrer sous ses yeux aux pires péchés de chair sans lui dénouer l'aiguillette.
Lysamour dut le sentir car elle ne s'obstina guère. Constatant l'inanité de ses efforts, elle poussa un juron bien senti, avant de sauter de la couche.
— Soit ! siffla-t-elle. Je vais te laisser méditer un peu. De toute façon, il est l'heure de mon souper. Toi, ai-je besoin de te le dire ? tu ne souperas pas avant de m'avoir servie. Nous verrons bien si tu restes de marbre quand la faim commencera à te faire délirer. (Philippe, à ces mots, ne put s'empêcher d'ouvrir les yeux, horrifié.) Tu as intérêt à te montrer docile : quoi qu'il arrive, seule la mort te libérera et, tant que tu ne m'auras pas fécondée, elle ne viendra pas. Je te nourrirai tout juste assez pour te garder en vie et, s'il le faut vraiment, je verrai à employer des tortures moins subtiles. (Elle s'approcha de l'extraordinaire ouverture pratiquée dans la paroi.) N'espère pas t'échapper : même si tu parvenais à les trancher, les liens qui te maintiennent se ressouderaient autour de toi, et ils n'en seraient que plus serrés. Au revoir, petit prince. Je reviendrai peut-être dans une heure, peut-être demain matin, peut-être encore plus tard. Tâche d'être prêt.
Sans accorder un regard de plus à son captif, elle tourna les talons et, d'une détente, plongea au cœur du disque liquide. Philippe l'y vit disparaître instantanément, comme si, plutôt que de nager, elle s'était elle-même changée en eau. Il y eut quelques éclaboussures, quelques clapotis, puis plus rien.
Il était seul.
La lampe à huile diffusait une lueur de plus en plus ténue. Bientôt, elle s'éteindrait et il se retrouverait dans le noir.
Pour la première fois de sa vie, cette perspective l'effrayait.
Dans le noir, il ne la verrait pas revenir. Non que cela changerait le sort qu'elle lui réservait, mais à tout le moins, si elle ne le surprenait pas, il espérait se retenir de hurler encore, conserver le peu de fierté qui lui restait.
Son corps et son esprit se trouvaient pour l'heure également éprouvés, et il ne savait lequel de ces deux tourments était le plus insupportable. Le froid, sans doute, mordait sa chair avec l'avidité d'un rapace, si bien qu'il frissonnait tel un arbre dans la bise et qu'une douleur sourde envahissait ses os – mais l'image de Lysamour, succube à la hideuse beauté, lui tenaillait tout autant l'âme. La faim, bien sûr, puisqu'il n'avait rien mangé depuis le matin, se nichait peu à peu au creux de son estomac – mais le souvenir du terrible récit lui tordait pareillement les entrailles.
Ainsi, il était le descendant de cette créature inhumaine qui foulait aux pieds les plus sacrés des commandements divins. Il ne lui venait pas à l'idée de mettre en doute les paroles de sa geôlière. Les preuves avancées étaient suffisantes – et s'il avait néanmoins hésité, une autre existait, qu'elle ne pouvait connaître : l'attirance qu'il éprouvait pour l'eau, même si, contrairement à Lysamour, il n'eût pu survivre immergé.
Hugues… Hugues Capet. On lui avait appris à l'admirer, cet ancêtre, ce fondateur qui, à force de courage et d'intrigues, était parvenu à conquérir le trône et à y asseoir sa dynastie. On lui avait appris à le respecter, à l'aimer… Désormais, il n'était pas loin de le honnir. Comment, alors même qu'il s'appuyait sur l'Église pour régner, le duc des Francs avait-il pu posséder une
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