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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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traits fut de courte durée, chassée par une expression où se mêlaient crainte et stupéfaction. Sautant à bas du lit, elle mit un genou en terre et baissa la tête, soumise.
    — Sire… murmura-t-elle. C'est un grand honneur pour ma maison.
    En entendant ce mot, sire, Philippe tourna la tête, saisi d'un regain d'espoir. Les veneurs avaient retrouvé sa trace, son père avait été prévenu, il arrivait à la rescousse…
    Mais ce n'était pas son père, bien entendu. D'ailleurs, après toutes ses injures vomies à l'adresse des Capétiens, Lysamour se fût-elle agenouillée devant Louis ?
    On ne pouvait toutefois s'y méprendre : celui qui venait de franchir la tenture pendue au pied de l'escalier, quoique vêtu d'un manteau à l'extrême simplicité, sous lequel il était visiblement nu, possédait une majesté naturelle qui faisait défaut à bien des princes couronnés. C'était un homme de haute taille, bâti en guerrier, noir de poil, brun de peau, dont le visage aux traits marqués s'ornait d'une courte barbe bouclée. Ses cheveux, bouclés eux aussi, tombaient en une masse soyeuse sur ses épaules et sur son front, où ils surmontaient des yeux noirs luisants n'exprimant que réprobation.
    Sur sa gauche, un peu en retrait, écartant la tenture d'une main, se tenait une très petite femme à la chevelure verte et aux formes délicates, quoiqu'au visage sans grâce, dont la tunique ajustée semblait composée de feuilles de hêtre entrelacées. Un poète humain, sans doute, eût vu en elle une dryade.
    — Sire, je… commença Lysamour, toujours agenouillée.
    — Silence ! coupa l'homme. Je sais ce que tu vas dire et je récuse d'avance tes arguments. (Il s'interrompit un instant, puis reprit d'une voix moins dure :) Je connais ton histoire, ma fille, et je comprends la haine qui t'habite, mais elle est sans objet, aujourd'hui. Le Capet a eu des torts envers toi, et si tu avais exercé ta vengeance contre lui, jadis, je n'aurais eu ni le droit ni le désir d'intervenir. Cet enfant, toutefois, n'a rien fait pour mériter le sort que tu lui réservais. En outre, il est de notre sang : le tuer, alors qu'il nous perpétue parmi les humains, et au sein d'une de leurs lignées souveraines, serait un crime non seulement contre lui mais contre tout notre peuple, Si nous devons survivre, ce sera grâce à des êtres tels que lui.
    — Je ne crois pas…
    — Ce que tu crois n'a aucune importance. Seul compte ce que j'ordonne. Et je t'ordonne de les laisser en paix, lui et les siens.
    Lysamour osa enfin relever la tête. Des larmes de frustration roulaient sur ses joues.
    — Alors, je suis condamnée à ne jamais accomplir mon vœu ? À rester éternellement insatisfaite ?
    — Assez de jérémiades ! trancha son interlocuteur. Réjouis-toi plutôt que ceux des nôtres qui sont restés lucides se soient relayés jusqu'à moi. Tu m'as contraint à me déplacer en personne, à me fondre en la Terre pour faire diligence et à me présenter chez toi dans une tenue indigne de mon rang ; sans Haisia, ici présente, je n'aurais même pas un manteau. (Il soupira.) Mais enfin, je suis arrivé à temps, et cela t'évitera le châtiment suprême. S'il doit y avoir une prochaine fois, sache que je ne serai pas aussi magnanime. Quitte ces lieux, à présent, et n'y reviens pas que je ne m'en sois allé.
    Philippe, à demi assommé par la fièvre, se croyait plongé au cœur d'un rêve. Il avait suivi cet échange avec un curieux détachement, comme si son existence n'en avait pas été l'enjeu. Tout juste fut-il soulagé lorsqu'il comprit que Lysamour venait d'être congédiée par le mystérieux personnage qu'elle appelait sire. Clignant des yeux pour percer la brume qui l'aveuglait, il la vit se relever et marmonner une injure à l'adresse de la nommée Haisia – laquelle lui tira la langue en retour, dédaigneuse. S'étant inclinée une dernière fois devant son noble visiteur, elle courut à la fenêtre magique et plongea dans les eaux noires qui l'engloutirent.
    Quand elle eût disparu, l'homme s'avança vers le lit. Il n'eut besoin que d'effleurer les liens végétaux pour les contraindre à se relâcher. Les empoignant d'une main ferme, il les rejeta dans la rivière, à la suite de l'être qui leur avait donné vie.
    Philippe, libéré, se recroquevilla en position fœtale. Comme deux larges mains approchaient de son visage, il eut un mouvement de recul mais sa faiblesse ne lui permit pas de leur

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