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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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qui lui donnait la nausée. Sa seule consolation était de n'avoir rien à vomir, son estomac trop noué l'ayant dissuadé de souper : il n'eût pas supporté pareille indignité en pareil moment.
    Bien qu'il sût le danger devant et non derrière, il ne pouvait s'empêcher de se retourner fréquemment, de darder des regards anxieux vers les angles sombres. Il lui semblait que Lysamour allait surgir du néant pour se jeter sur lui et le déchirer de ses griffes.
    Enfin, ils arrivèrent en bas.
    La chambre était plus lumineuse que dans son souvenir : on y avait disposé des dizaines de bougies qui en éclairaient le moindre recoin. La lumière était rassurante, toujours. Les petites flammes jetaient sur les parois de terre des ombres vacillantes, créaient d'étranges étincelles dorées au sein de la fenêtre ouverte sur la rivière.
    Paraient de reflets orangés dansants le corps nu étendu sur le lit.
    Comme on le lui avait promis, elle était allongée sur le dos, bras et jambes écartés, poignets et chevilles liés par des cordes solides aux piquets fichés tout exprès dans le sol. Un bandeau lui couvrait les yeux. Sa chevelure blonde, sagement coiffée en deux tresses, courait le long de sa gorge, dissimulait ses ouïes. Sa poitrine se soulevait au rythme d'une respiration irrégulière.
    Philippe se sentit à la fois soulagé et déçu.
    — Ce n'est pas elle, dit-il en se tournant vers Isambour. Je comprends ce que tu as voulu faire mais tu n'avais aucune chance de m'abuser : je reconnaîtrais la vraie Lysamour entre mille.
    — Regarde mieux, l'encouragea son épouse. C'est bien elle, je t'assure.
    Il secoua la tête.
    — Elle était plus grande, plus…
    — C'est toi qui étais plus petit. Plus impressionnable.
    — C'est bien moi, petit prince, lança soudain la femme, sur le lit. Je ne te vois pas, mais je gage pourtant que tu as plus changé que moi.
    L'œil unique de Philippe s'écarquilla. Serrant les poings, le roi laissa se dissiper la vague de frissons qui s'était emparée de lui. Le corps avait trompé ses souvenirs, pas la voix. C'était bien Lysamour. L'être qu'il craignait et détestait le plus au monde depuis trente-cinq ans.
    À sa merci.
    Pourtant, c'était encore lui qui avait peur.
    — Convaincu ? souffla Isambour en se rapprochant de lui comme pour le réconforter.
    Il s'efforçait de se détendre, de respirer profondément. Tout en hochant la tête, il attira sa femme à lui et déposa un baiser sur son front.
    — C'est… commença-t-il. (Sa voix se brisa. Il se racla bruyamment la gorge.) C'est elle.
    — Elle est à toi, conclut la reine.
    Elle lui avait exprimé ses désirs mais n'avait rien interdit. Si Philippe prenait sa masse pour écraser tel un insecte la tête de Lysamour, elle ne tenterait pas de l'en empêcher, avait-elle affirmé, et Lysamour elle-même acceptait le risque pour expier son crime – ce qui était peut-être plus incroyable que tout.
    Philippe déglutit avec peine, s'arracha aux bras qui l'enserraient et fit un pas en direction du lit, puis un autre.
    La fille des rivières dut sentir son approche car elle se tendit, se cambra involontairement. Son souffle s'accéléra.
    Il se rendit compte qu'il s'était trompé : elle aussi avait peur. De plus près, on discernait ses tremblements, sa chair de poule.
    Elle avait peur de lui. Voilà qui ne manquait pas de sel. Et qui lui donna de l'audace.
    Il savait déjà qu'il ne la tuerait pas. Bien des années plus tôt, sans doute, il l'eût éventrée avec plaisir. Aujourd'hui encore, il l'eût volontiers fouettée jusqu'au sang pour lui faire payer ses actes d'autrefois, mais elle échapperait à cela aussi : frapper un être sans défense, même un ennemi, même elle, n'était pas dans la nature de Philippe.
    Il laissa errer son regard sur ce corps qu'il retrouvait quasi inchangé au bout de tant d'années. Aussi harmonieux que dans son souvenir, d'une beauté presque idéale, et pourtant dépourvu d'attrait charnel. Les liens qui maintenaient la fille des rivières lui rappelaient ceux naguère imposés à Isambour ; s'il avait alors jugé inique de traiter ainsi son épouse, il ne lui déplaisait pas que Lysamour, elle, fût un peu humiliée – mais cela ne l'excitait pas pour autant.
    Une impulsion lui fit tendre la main vers le bandeau qui aveuglait la captive.
    — Philippe… prévint son épouse, inquiète.
    — Il faut que je voie ses yeux, répondit-il, d'une voix plus ferme

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