Le roi d'août
adjoignit le maréchal Henri Clément. Vieilli et accablé par l'embonpoint, ce dernier ne réalisait plus de miracles les armes à la main, mais ses talents de capitaine demeuraient intacts, son expérience précieuse.
Le roi de France, une fois faits ses adieux à un héritier qui ne l'avait jamais vraiment déçu, repartit vers le Nord à la tête du reste de l'armée. Il ignorait si le destin le mènerait à la victoire ou à la défaite, mais il savait qu'avant cela, son chemin passerait par la forêt de Cuise.
On était déjà au mois de mai quand Jean sans Terre, puisqu'on ne le poursuivait plus, remonta vers la vallée de la Loire. C'était encore trop tôt. Ses alliés, en Flandre, n'avaient pas opéré leur jonction, mais il était mal informé de leurs mouvements : les messagers mettaient si longtemps à accomplir le voyage que leur message était bien souvent périmé lorsqu'ils arrivaient. La coalition eût sans conteste employé avec bonheur un agent doté des pouvoirs d'Isambour.
Le plus ironique était que Jean lui-même les possédait peut-être, s'ils ne disparaissaient pas dès la première génération de métissage : pour ce qu'il savait de son père, il avait pu s'agir d'un fils des pierres. Cependant, le Plantagenêt ignorait tout des capacités d'un tel être. S'il subodorait ses propres talents surnaturels, jamais il n'était parvenu à en entrevoir la nature. Il s'était livré sur de multiples prisonniers à diverses expériences, tentant d'en provoquer la mort par l'imposition des mains ou la seule force de l'esprit, cherchant à les fasciner de son regard brûlant, à lire dans leurs pensées… Tout cela ne leur eût d'ailleurs pas fait grand mal si sa colère devant ses échecs répétés ne l'avait souvent conduit à les abattre tout de même – de façon plus conventionnelle. Essayer de les soigner lui eût apporté un élément de réponse, peut-être livré le moyen de comprendre le reste, mais cette idée ne l'effleura pas.
Ce fut donc dépourvu de nouvelles fraîches qu'il arriva devant Nantes. La ville résista. Frustré, il se rabattit sur Angers, non fortifiée, que Guillaume des Roches renonça à défendre pour concentrer son action sur les châteaux des environs. Jean en prit plusieurs. Enhardi par ces faciles succès, il crut y mettre le comble en s'emparant de la puissante forteresse de La Roche-au-Moine.
Il trouva à son grand dam une garnison nullement décidée à capituler, qui lui causa dès le premier assaut des pertes considérables. Furieux, il s'entêta et entreprit d'assiéger la place.
Le prince Louis résidait à Chinon quand lui parvint l'appel au secours de La Roche-au-Moine. Ses troupes, même grossies des hommes de Guillaume des Roches, demeuraient bien moins nombreuses que celles du Plantagenêt. En accord avec Henri Clément, il envoya prendre les instructions de Philippe, lequel lui ordonna de marcher contre l'Anglais, ajoutant que le sort de la France reposait dans la force de son épée.
Le prince, exalté par l'enjeu et peu susceptible de discuter un ordre paternel, obéit sans hésiter. Fidèle en outre aux usages chevaleresques, il dépêcha à son adversaire un héraut afin de l'informer qu'il se préparait à l'assaillir.
— Si tu viens, tu nous trouveras prêts à combattre, et plus vite tu viendras, plus vite tu regretteras d'être venu, lui fit répondre un Jean ricanant.
C'était ricaner un peu tôt.
Les seigneurs de l'Ouest ralliés à sa bannière étaient tout prêts à dévaster le pays et à piller des villes qui s'offraient, mais le siège de La Roche-au-Moine leur coûtait du temps, des hommes et commençait à doucher leurs ardeurs. Quand ils apprirent la venue prochaine de Louis, presque tous déclarèrent forfait : livrer bataille était hors de question ; ils avaient trop à y perdre individuellement, leur parti dût-il l'emporter.
Jean assista donc à l'effilochement quasi instantané de ses forces. Contraint d'affronter l'armée du prince avec ses seuls mercenaires, il préféra lever le camp – et puisque l'ennemi approchait, ce fut une véritable débandade. Sans parler de les démonter, on ne chercha même pas à détruire les engins de siège : on les laissa sur place pour s'enfuir plus vite.
En arrivant devant La Roche-au-Moine, les Français découvrirent donc un spectacle inespéré mais pour eux quasi incompréhensible. Après s'être torturé l'esprit un long moment en se demandant où était le
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